La dévaluation réactive
1. La dévaluation réactive désigne un biais cognitif nous conduisant, dans le cadre d’une négociation, à considérer comme négative une proposition dès lors qu’elle est faite par notre “adversaire”. C’est simple : nous supposons d’emblée qu’il favorise ses intérêts au détriment des nôtres. Si la même proposition nous avait été faite par quelqu’un d’autre, nous l’aurions probablement trouvée acceptable.
2. Cette réaction peut nous être particulièrement dommageable car, en manquant d’objectivité, nous sommes susceptibles de prolonger inutilement un conflit, de passer à côté d’une solution intéressante, de nous bloquer au lieu de passer à une autre étape de notre vie… Dommage !
3. Ce biais est également présent dans les négociations entre institutions, Etats, organismes… qu’il s’agisse de mettre fin à une guerre ou à des conflits sociaux, ou d’adopter de nouvelles lois.
4. Ce biais a fait l’objet d’une première étude en 1988 par deux chercheurs de Stanford, Lee Ross et Constance Stillinger. Dans le contexte de la guerre froide opposant les USA et l’URSS, ils ont soumis à des passants américains un même projet de réduction des armes nucléaires, qui sera jugé favorablement lorsque présenté comme émanant des USA, moins favorablement lorsqu’attribué à une partie neutre, et très défavorablement lorsque provenant d’URSS. On pouvait s’y attendre…
5. Notre réaction trouverait notamment sa source dans un autre biais cognitif : l'aversion à la perte. Identifié par Daniel Kahneman (Prix Nobel 2002) et Amos Tversky, ce biais nous incite à accorder plus d’importance à une perte qu’à un gain, même s’il s’agit du même montant ou de la même valeur. Lorsque nous négocions, nous accordons plus de valeur à ce nous concédons qu’à ce que nous gagnons.
6. Nous avons également tendance à vouloir ce que nous n’avons pas. Lorsque nous obtenons la solution A au terme d’une négociation, nous pensons “mais peut-être que la solution B aurait été mieux. Finalement c’est B que je veux”. Humain mais tellement agaçant.
7. Comment lutter et mieux négocier ? L’une des méthodes proposées par Lee Ross est de procéder à des négociations avant les négociations. Eh oui… En clair, il s’agit d’établir une liste précise des points que les deux parties veulent obtenir. Ainsi, lorsqu’une proposition arrive sur la table, elle est plus facile à évaluer objectivement car chacun peut la relier à la liste pré-établie. Simple.
La leçon à retenir
J’en connais qui vont en avoir besoin ces prochains temps…
Pour aller plus loin
L’article originel de Lee Ross - Reactive Devaluation in Negotiation and Conflict Resolution -
L’article de Lee Ross et Andrew Ward - Psychological Barriers to Dispute Resolution - ScienceDirect -
The Rolling Stones - You Can’t Always Get What You Want (Official Video) [4K]
La question à 600 milliards de dollars
1. La question à 600 milliards de dollars (qui dit mieux ?) n’est pas le dernier jeu télévisé à la mode. Il s’agit de l’estimation des investissements nécessaires chaque année, pour tenir les promesses du secteur de l’IA.
2. Ce montant résulte des calculs de David Cahn, “partner” chez Sequoia Capital, l’un des grands fonds d’investissement de la Silicon Valley. Pas vraiment un technophobe donc... Déformation professionnelle oblige, David Cahn ne peut s’empêcher d’évaluer les retours sur ses investissements, ce qui lui a permis de constater que, dans le cas de l’IA, les montants dépensés - pardon, investis - atteignent des sommets tels, que l’on peut s’interroger sur la viabilité économique de la filière.
3. Ces investissements sont répartis en trois grandes catégories :
25 % pour la puissance de calcul : 150 milliards pour les indispensables cartes graphiques (GPU ou Graphics Processing Units).
25 % pour les data centers : soit 150 autres milliards utilisés pour assurer leur fonctionnement et leur maintenance (énergie, bâtiments, générateurs, architecture…).
300 milliards de dollars donc juste pour l’infrastructure, et à ce prix, aucun développement de modèles d’IA n’a encore été réalisé...
50 % pour la production : compter encore 300 milliards de dollars pour les entreprises, startups et autres organisations qui vont concevoir et commercialiser les solutions d’IA.
Source: David Cahn - Sequoia Capital
4. Non seulement les coûts sont faramineux mais leur augmentation est tout aussi effarante. En septembre 2023, le même Cahn publiait un article équivalent : à l’époque, il ne s’agissait “que” de 200 milliards de dollars. En moins de douze mois, les investissements pressentis en IA auraient donc été multipliés par trois ! Comment en sommes-nous arrivés là ?
5. Cette inflation s’explique par la pénurie de GPU qui a atteint des sommets fin 2023, pénurie qui a fait de Nvidia, principal fabricant mondial de GPU, l’entreprise la plus valorisée au monde. Même si la situation s’est améliorée, les coûts ont continué à croître. Ne parlons même pas des nouvelles génération de puces, la B100 de Nvidia par exemple, 25 % plus chères, attendues avec impatience !
6. Après les dépenses, David Cahn est passé aux revenus. Selon ses estimations, en étant optimiste, les Google, Microsoft, Meta et Apple devraient chacun générer 10 milliards de revenus annuels liés à l’Intelligence Artificielle, auxquels s’ajoutent 5 milliards de dollars pour le second cercle des acteurs de la tech : Tesla, X et Oracle pour les USA et Byte Dance, Alibaba et Tencent pour la Chine. Soyons généreux, comptons quelques milliards de dollars de revenus annuels pour les autres entreprises de l’Intelligence Artificielle et cela nous fait un total de 100 milliards de revenus pour les acteurs de la Tech et donc un trou de 500 milliards à combler… pour une année.
7. L’analyse de David Cahn a rafraîchi quelque peu l’ambiance générale. Outre les doutes sur les retours sur investissement, elle dessine un tout autre visage de l’Intelligence Artificielle qui serait donc avant tout une affaire de puces et d’infrastructures, et non de “génie”. L’histoire se répéterait-elle ? Au temps de la Ruée vers l’or, ce sont le plus souvent les vendeurs de pelles et de pioches qui ont fait fortune, pas les chercheurs de pépites.
La leçon à tirer
Beaucoup d’investissements, peu de revenus… Ça ne vous rappellerait pas quelque chose ?
Pour aller plus loin
AI’s $600B Question - David Cahn - Sequoia Capital - Juin 2024
AI’s $200B Question - David Cahn - Sequoia Capital - Octobre 2023
Qu’est ce que le GPU ? - Inmac Wstore
Nvidia Overtakes Microsoft as World's Most Valuable Company - AI & Business
The Bitter lesson - Richard Sutton