Suite de notre "Best of" ! Seuls les esprits taquins y verront quelque allusion Ă ce dĂ©but d'Ă©tĂ© plein de surprises. Et pour ne pas perdre son calme, Somewhere over the rainbowâŠ
La hiérarchie des arguments de Paul Graham
1. En ces temps houleux, la hiĂ©rarchie des arguments de Paul Graham - en 7 niveaux - peut nous aider Ă mieux comprendre la mĂ©canique des dĂ©saccords et Ă rĂ©agir face Ă des arguments qui nous semblent tout simplement faux ou malhonnĂȘtes.
2. Paul Graham est lâun des fondateurs du cĂ©lĂšbre accĂ©lĂ©rateur californien Y Combinator, Ă lâorigine de startups Ă succĂšs telles que Airbnb, Dropbox, Zapier, Substack, etc. Informaticien ayant aussi Ă©tudiĂ© lâart et la philosophie, il est devenu lâun des maĂźtres Ă penser de la Silicon Valley. Et chacun de ses essais et de ses articles (Ă retrouver sur son blog) sont scrutĂ©s avec attention. Sa hiĂ©rarchie des arguments (Disagreement Hierarchy) est devenue lâune de ses thĂ©ories les plus connues.
3. Commençons par les deux premiers niveaux de cette hiĂ©rarchie, dignes de NĂ©anderthal (et encore câest leur faire offenseâŠ) : la rĂ©ponse portant sur lâauteur lui-mĂȘme.
Niveau 0 - Lâinsulte. Est-ce vraiment nĂ©cessaire dâĂ©piloguer ? Câest Ă©videmment le niveau le plus bas : la personne nâest pas en mesure de prĂ©senter quelque argument que ce soit. Â
Niveau 1 - Lâattaque Ad hominem : selon le Larousse, argument âpar lequel on attaque l'adversaire directement dans sa personne en lui opposant ses propres paroles ou ses propres actesâ. Il ne sâagit toujours pas dâune argumentation sur le fond.
4. Un peu plus sophistiquĂ©âŠ
Niveau 2 - Lâattaque sur la forme (le ton). La rĂ©ponse reste faible car on ne sait toujours pas sur quoi porte rĂ©ellement le dĂ©saccord. Lâauteur a-t-il tort ou raison ? Sur quel point et pourquoi ? Â
Niveau 3 - La contradiction sans argument. Enfin, on commence Ă traiter du fond mais de façon encore trĂšs rudimentaire. On ne fait que prĂ©senter la thĂšse inverse sans apporter de preuves.Â
Niveau 4 - Le contre-argument. Nous passons aux choses sĂ©rieuses, câest-Ă -dire potentiellement efficaces. A la contradiction sâajoute un peu de raisonnement et parfois mĂȘme des preuves. Il reste toutefois un problĂšme : souvent les dĂ©libĂ©rants sâenvoient arguments et contre-arguments sans vĂ©ritablement traiter du mĂȘme sujet. Â
5. Enfin, nous arrivons aux niveaux supérieurs de la hiérarchie des arguments.
Niveau 5 - La rĂ©futation dâun argument. Vous devrez ĂȘtre prĂ©cis et citer le point que vous souhaitez rĂ©futer, et en quoi il vous semble incorrect. Cela implique un peu plus de travail quâune insulte⊠La rĂ©futation est donc nettement plus rare.Â
6. Avec la réfutation de la thÚse centrale, nous atteignons le sommet.
Niveau 6 - Il ne sâagit plus ici de rĂ©futer un argument qui peut sâavĂ©rer mineur mais bien la thĂšse centrale de lâauteur. Par exemple :Â
La thĂšse centrale de de cet auteur est que XXX, tel quâil le dit dans ce passage :
<<citation>>
XXX est faux pour les raisons suivantes :Â
Argument 1Â
Argument 2
etc.
7. Lâobjectif de Paul Graham est de donner des outils pour dĂ©monter des argumentations fallacieuses, voire malhonnĂȘtes. Un auteur talentueux ou un orateur Ă©loquent peut donner lâimpression de rĂ©duire en bouillie les arguments dâun opposant, simplement en utilisant des mots forts mais vides, ou des arguments brillants qui ne traitent pas la question. Câest mĂȘme à ça quâon reconnaĂźt les dĂ©magogues.Â
La leçon Ă retenirÂ
Lâart dâargumenter est une qualitĂ© professionnelle indispensable. Pour maĂźtriser cet art, allons vers le haut de la pyramide (le cĆur du raisonnement) et non pas le bas (attaquer la personne).
Pour aller plus loin
Lâeffet âhard-easyâ
1. Lâeffet âhard-easyâ est le biais cognitif par lequel nous sous-estimons nos chances de rĂ©ussite pour des tĂąches faciles, alors que nous les surestimons pour des tĂąches difficiles.Â
2. Ce biais a Ă©tĂ© identifiĂ© par Sarah Lichtenstein et Baruch Fischhoff, chercheurs et fondateurs de lâinstitut Decision Research, spĂ©cialisĂ©e dans lâanalyse et lâĂ©tude du risque.Â
3. Ces erreurs dâapprĂ©ciation ne sont pas sans consĂ©quences puisque nous prenons nos dĂ©cisions sur la base de nos âprĂ©dictionsâ. Si nous anticipons un Ă©chec, nous renonçons alors que, sâil sâagit de tĂąches faciles, nous aurions Ă©tĂ© Ă mĂȘme de rĂ©ussir : nous passons donc Ă cĂŽtĂ© dâopportunitĂ©s intĂ©ressantes.Â
4. A lâinverse, si nous sous-estimons notre risque dâĂ©chouer, nous nous lançons dans des opĂ©rations (trop) difficiles, sans en prendre la mesure et sans ĂȘtre convenablement prĂ©parĂ©s. Un exemple historique : la guerre de 1870 dĂ©clarĂ©e avec une certaine lĂ©gĂšretĂ© et une confiance remarquable par NapolĂ©on III, qui le conduira pourtant Ă sa chute en quelques semaines, puis au siĂšge de Paris, et contribuera Ă lâengrenage des deux guerres mondiales⊠Bref, des dĂ©cisions prises sur des âprĂ©dictionsâ erronĂ©es peuvent avoir des consĂ©quences. Â
5. Autre inconvĂ©nient qui touche notamment les entrepreneurs et les indĂ©pendants : nous avons tendance Ă surestimer nos capacitĂ©s et Ă penser que nous pouvons tout faire nous-mĂȘmes, sans faire appel Ă dâautres professionnels⊠Ăpuisant, dĂ©courageant, dangereux.Â
6. Plusieurs pistes sont avancĂ©es pour expliquer ce biais :Â
lâeffet Dunning-Kruger qui consiste Ă surestimer ses compĂ©tences dans des domaines que lâon connaĂźt juste un peu,Â
le biais de confirmation qui incite Ă privilĂ©gier les informations correspondant Ă ce que nous pensons dĂ©jĂ , et Ă refuser les informations qui nous obligeraient Ă changer dâavis ou de conviction,
la loi de futilitĂ© de Parkinson qui dĂ©crit notre tendance Ă passer beaucoup plus de temps sur des choses sans beaucoup dâimportance, au dĂ©triment de ce qui compte vraiment.Â
7. Un peu dâespoir ? Nos prĂ©dictions sont davantage (mais pas totalement) exactes et prĂ©cises lorsque nous connaissons bien le sujet concernĂ©. Toutefois, l'intelligence acadĂ©mique ne permet pas de rĂ©duire lâeffet âhard-easyâ. Faites des Ă©tudes, quâils disaientâŠÂ
La leçon Ă retenirÂ
Se mĂ©fier quand on pense âouais, facile, jâen ai pour deux heures max et câest bouclĂ©âŠâ ou âouais, facile, une petite dissolution, y en a pour deux semaines maxââŠ
Pour aller plus loinÂ
Lâarticle Do those who know more also know more about how much they know? - ScienceDirect
Lâarticle The HardâEasy Effect in Subjective Probability Calibration - Liana Suantak, Fergus Bolger, William R. Ferrell