🔴 7 about... la loi du marteau, les "dumb cities" pas si bêtes et le syndrome de la Silicon Valley
La loi du marteau
1. La loi du marteau (également loi de l'instrument, marteau de Maslow ou marteau d'or) est un biais cognitif conduisant, lorsque l’on a un problème à traiter, à utiliser automatiquement la méthode que l’on connaît le mieux, même si elle est inadaptée.
2. Cette loi a été initialement évoquée par Abraham Kaplan dans son ouvrage The Conduct of Inquiry (1964) :
“Give a small boy a hammer, and he will find that everything he encounters needs pounding.”
Elle a ensuite été popularisée par Abraham Maslow (oui, l’auteur de la pyramide des besoins) dans son livre The Psychology of Science: A Reconnaissance (1966).
3. Ce biais comporte plusieurs inconvénients : sur le plan individuel, nous devenons inefficaces car nous n’utilisons pas le “bon outil” pour une tâche donnée, soit par pure ignorance, soit par défaut d’analyse du problème à traiter, soit (mais c’est impossible, n’est-ce pas ?) parce que nous sommes trop fainéants pour faire l’effort d’apprendre quelque chose de nouveau (pourtant mieux adapté).
4. Sur le plan collectif, cela peut conduire une institution telle que l’école, à persister dans une méthode unique, même si celle-ci est inadaptée à certains enfants. Pour reprendre l’image, nous tapons sur une vis avec notre marteau alors que nous devrions utiliser un tournevis.
5. Ce biais s’explique par le raccourci que notre cerveau utilise : nous avons déjà eu ce problème, nous l’avons réglé avec succès avec telle méthode, nous allons donc utiliser la même méthode pour traiter un nouveau problème, similaire du moins en apparence (effet Einstellung).
6. La conséquence néfaste de la loi du marteau est qu’elle nous empêche de trouver LA meilleure solution, de développer de nouvelles compétences et donc d’être véritablement efficaces.
7. Comment l’éviter ? Prendre notre temps lorsque nous sommes confrontés à un nouveau problème, bien analyser ses caractéristiques, les moyens et les contraintes, envisager plusieurs stratégies et, ensuite seulement, choisir nos outils.
La leçon à retenir
Ça ressemble furieusement au fameux “yakafokon”, ces solutions simplistes et sans nuances qui ont toutes les chances d’échouer…
Pour aller plus loin
Les “dumb cities”, moins bêtes qu’elles n’en ont l’air
1. Le concept de dumb cities est à opposer à celui de smart cities, ces villes où tout est géré et contrôlé par l’informatique et l’Intelligence Artificielle. Les “dumb cities” sont donc des villes fonctionnant sans l’apport des “nouvelles” technologies.
2. Les smart cities posent des questions cruciales :
Politiques et éthiques : comment sont utilisées les données relevées par les capteurs et autres dispositifs de “tracking” ?
Économiques : que se passe-t-il si les chaînes logistiques sont rompues pour s'approvisionner en micro-processeurs et autres dispositifs, notamment pour remplacer des équipements défaillants ?
Géopolitiques : comment prévenir les risques de hacking des infrastructures et dispositifs essentiels, par une nation ennemie par exemple ?
Techniques : comment gérer l'obsolescence sur le plan matériel comme logiciel ? Capteurs, applications et, même, compétences… Rien ne vieillit plus mal que la technologie.
3. Les risques de pénuries, de guerres et de catastrophes climatiques, que nous expérimentons aujourd’hui, mettent en évidence les vulnérabilités des smart cities, ainsi que les dépendances induites, notamment en matière de ressources naturelles disponibles en quantité limitées.
4. L’idée des dumb cities est d’utiliser la nature et nos cerveaux, excellentes machines avec plein de capteurs naturels et d’Intelligence non artificielle.
5. Il s’agit ici de faire appel à des technologies ancestrales ou biomimétiques, ayant fait leurs preuves et tirant profit de la nature tout en la respectant. Si une technologie efficace n’implique ni électricité ni électronique, pourquoi ne pas en bénéficier ?
“Nature is smart, and our ancient wisdom tells us how to live with nature in a smart way.”
Prof Kongjian Yu
6. Quelques exemples :
les “villes-éponges” de Yu Kongjian, architecte chinois, qui, loin de lutter à coup de digues ou de capteurs contre les inondations, propose d’aménager la ville pour que l’eau puisse être naturellement absorbée : jardins conçus pour se transformer en marais, trottoirs perméables pour que l’eau s’évacue tout en étant retenue et utilisée, toits jardins, etc.
la “capture” de l’eau dans des zones agricoles très arides, par de simples petites fosses semi-circulaires creusées dans la terre, empêchant le ruissellement des rares eaux de pluie, et grâce auxquelles les graines pourront germer. Ultra simple, ultra efficace. L’un des mes exemples préférés tant il est spectaculaire !
la construction de bâtiments sur des modèles issus de la nature, tel que l’Eastgate Centre d’Harare, au Zimbabwe, s’inspirant du système de ventilation des termitières, pour une climatisation naturelle.
7. Ces technologies sont disponibles dans les différentes cultures ancestrales qui enrichissent notre monde. Reste à savoir si nous aurons le temps d’en bénéficier avant qu’elles ne disparaissent…
La leçon à retenir
Comme le disait mon grand-père, “les anciens savaient” : des décennies, des siècles d’expérimentation, au prix de leur vie parfois, leur avaient appris à tirer la leçon de leurs erreurs et de leurs succès, et à la transmettre…
Pour aller plus loin
Julia Watson. Lo—TEK. Design by Radical Indigenism - TASCHEN Books
Inside Makoko: danger and ingenuity in the world's biggest floating slum | Cities | The Guardian
Les Sponge-city, le modèle chinois pour lutter contre les inondations - Les Éclaireurs
Greener pastures: Can ancient eco-engineering help fix our degraded landscapes? - CNN.
Le syndrome de la Silicon Valley
1. Le syndrome de la Silicon Valley désigne les conséquences engendrées par la concentration d’un secteur high tech et de son financement, sur l’économie générale d’une région.
2. Ce syndrome a été théorisé par Olav Sorenson, professeur de sociologie et de stratégie à UCLA, et Mary C. Tanner, banquière d’investissement et dirigeante d’entreprises.
3. Considérée comme l’épicentre mondial de la technologie et de l’innovation, la Silicon Valley s’étend sur 200 kilomètres carrés environ, au sud de San Francisco. Elle accueille la plus forte concentration mondiale de milliardaires au mètre carré, héberge notamment les sièges d’Apple, de Google et de Facebook, et draine près de 40 % des 156 milliards de dollars investis en capital risque aux Etats-Unis. Tout ce petit monde se côtoie et gravite autour de l’université de Stanford, bénéficiant de 38 milliards de dollars de dotation.
4. Cette concentration est renforcée par la “one hour rule”. En effet, on a constaté que les capitaux risqueurs (VC pour Venture Capital) investissent majoritairement dans des entreprises proches de leurs bureaux (moins d’une heure), car ils font confiance à des entreprises créées par des membres de leur réseau et donc le plus souvent proches géographiquement. Sans compter qu’avoir ces dirigeants “sous la main”, permet de les aider, ou… de les contrôler, plus facilement.
5. Le syndrome de la Silicon Valley décrit les effets de cette concentration unique au monde de technologies et de capitaux.
Les gagnants : les services locaux tels que les restaurants, les services médicaux, les agents immobiliers, les salons de coiffure… s’enrichissent car ils bénéficient d’une clientèle de proximité très aisée.
Les perdants : les entreprises locales (hors tech) dont les clients se trouvent en dehors de la région, voient leurs coûts augmenter (immobilier, salaires…), perdent en compétitivité et sont amenées soit à s’exiler, soit à mettre la clef sous la porte.
6. Ce syndrome d’hyper concentration de richesses sur une zone réduite n’est pas spécifique à la Silicon Valley. Un phénomène semblable, connu sous le nom de Dutch Disease, s’est produit aux Pays-Bas, dans les années 1960, lors de la découverte de réserves de gaz naturel au large des côtes néerlandaises. La monnaie néerlandaise a alors augmenté, accroissant le prix à l’exportation des produits locaux. En parallèle, ces mêmes entreprises locales ont perdu leurs salariés, attirés par les meilleures rémunérations de l’industrie gazière. Conséquence ? Le secteur du gaz en est sorti gagnant, à l’inverse du reste de l’économie qui s’en est trouvée affaiblie.
7. Quel décideur ne rêverait pas de créer sa propre Silicon Valley ? Si les bénéfices sont indéniables, les conséquences plus lointaines de fragilisation du reste de l’économie locale, ne sont que rarement envisagées. D’où l’intérêt de bien connaître le syndrome de la Silicon Valley…
La leçon à retenir
Comme disent les Anglais, “be careful what you wish for”...
Pour aller plus loin
L’étude complète “The Silicon Valley Syndrome”
The Bay Area stills hold the keys to VC, Pitchbook analysis
La bande annonce de l'excellente série TV de HBO : Silicon Valley