🔴 7 about... la rationalité limitée et le mouvement “Time Well spent"
"Best of" de printemps avec quelques-uns de nos sujets préférés ! Pendant ce temps-là, nous repartons à la chasse aux nouveaux sujets... Bonne lecture sous le soleil et à vendredi prochain !
La rationalité limitée
1. La rationalité limitée (bounded rationality) est le processus de prise de décision qui nous conduit à nous limiter à une solution satisfaisante, même si elle n’est pas optimale.
2. En effet, dans un monde idéal, nous disposerions de toutes les informations nécessaires, d’un temps illimité et d’une capacité de réflexion exceptionnelle, qui nous permettraient de faire le choix optimal, en dehors de tout biais cognitif. Dans le monde réel, nous nous arrêtons à la première solution que nous jugeons satisfaisante. Décevant…
3. Prix Nobel d’économie en 1978 pour ses travaux en sciences comportementales, le chercheur américain Herbert Simon a développé le concept de rationalité limitée dès 1955, en réaction au modèle néo-classique selon lequel, étant parfaitement rationnels, disposant d’une capacité cognitive illimitée ainsi que d’informations exactes et complètes, nous choisirions LA solution optimale nous permettant d’optimiser nos gains malgré les contraintes.
4. En réalité, nous prenons des “raccourcis” car nous n’avons ni le temps ni les moyens de calculer tous les bénéfices et inconvénients de toutes les alternatives envisageables. Nous sommes donc imparfaitement rationnels (on s’en doutait un peu…) ce qui peut nous inciter à agir contre nos intérêts, par exemple en privilégiant le court terme ou en choisissant, sans vraiment le savoir, une solution incohérente avec nos objectifs.
5. Prendre conscience de ce processus nous aide à déjouer les manœuvres des petits malins qui ont parfaitement compris nos imperfections. Entreprises, politiques, ils savent bien que nous n’avons pas le temps de chercher si leurs déclarations sont exactes ou non. Quelques exemples ?
les allégations santé sur les produits alimentaires
les grandes déclarations d’amour à l’environnement sur des lessives polluantes
les bilans enjolivés de certains politiques
6. Le travail en équipe peut être un antidote car nous disposons ainsi des connaissances, de l’expérience et du temps de chacun, sans être tous soumis aux mêmes biais cognitifs.
7. Enfin, ne pas prendre de décisions optimales peut être positif s’il s’agit d’intégrer d’autres objectifs que le profit : la lutte contre la crise climatique, le bien-être des salariés, le respect des droits humains…
La leçon à retenir
Pour le commun des mortels, vouloir prendre la décision parfaite équivaut souvent à ne pas prendre de décision du tout… comme lorsqu’on hésite tellement sur le meilleur lieu de vacances que finalement tout est complet lorsque, enfin, on est prêt.
Pour aller plus loin
Pour ceux qui veulent un cours rapide : La rationalité limitée – Maxicours
Pour ceux qui veulent (vraiment !) aller au fond des choses : Bounded Rationality (Stanford Encyclopedia of Philosophy)
La pensée du maître lui-même : A Behavioral Model of Rational Choice Get access – Herbert A. Simon
“Time Well spent”
1. Le mouvement Time Well spent a été initié en 2013 par Tristan Harris, l’un des principaux lanceurs d’alerte de la Silicon Valley. Son objectif ? Aider décideurs et citoyens à prendre conscience des effets délétères des “technologies” – en clair de nos smartphones et autres ordinateurs – sur nos cerveaux et nos esprits.
2. Tristan Harris est un pur produit de la Tech : il est né et a grandi à San Francisco. Diplômé de Stanford, il a travaillé pour Apple, puis a créé sa propre startup – Apture – rachetée par Google en 2011. Après l’acquisition, Harris devient Design Ethicist et Product Philosopher chez Google. Eh oui, ça existe… Il commence alors à s’intéresser aux vulnérabilités du cerveau humain, que cherchent à exploiter les entreprises de la tech. Sa présentation « A Call to Minimize Distraction & Respect Users’ Attention » devient virale auprès des employés de Google.
3. En 2015, Harris saute le pas et crée l’organisation à but non lucratif Time Well Spent qui deviendra par la suite le Center for Humane Technology. Fini le parcours idéal du “winner” de la Silicon Valley ! Harris va devenir l’un des lanceurs d’alerte les plus connus du monde de la tech.
4. Harris dénonce le design de ces services qui nous rendent accros (hijack) de façon intentionnelle. Le meilleur exemple est bien sûr Instagram, YouTube ou TikTok et leurs vidéos déversées sans fin en fonction de vos préférences inconscientes. Vous vous “réveillez” soudain pour vous rendre compte que vous avez passé plus d’une heure à regarder des vidéos de chats débiles, alors que vous ne pensiez n’en regarder qu’une seule… et encore ! Comme si “on” avait pris possession de votre cerveau. Ce n’est pas de la magie, c’est de l’“attention engineering”.
5. Le Center for Humane Technology de Tristan Harris répond à trois objectifs principaux :
Informer le grand public pour favoriser sa prise de conscience, via des films, des présentations, des podcasts…
Agir auprès du personnel politique, des leaders, des législateurs, des organisations internationales…
Lutter contre l’accoutumance aux écrans via des ateliers, des cours en ligne, des documents…
6. Les travaux menés pour les générations futures – enfants et ados – sont particulièrement intéressants, notamment le Youth toolkit, un ensemble de guides, de présentations, destinés aux jeunes, aux parents, aux enseignants et éducateurs.
Quelques exemples de sujet :
How does the race for attention distort how we see the world?
C’est vrai, c’est en anglais, mais ça en vaut vraiment la peine (en plus, ça leur fera faire des progrès…).
7. Enfin, pour ceux qui n’ont pas le temps (!), Tristan Harris a lancé le podcast Your Undivided Attention (sélection TED Audio Collective) consacré au pouvoir des nouvelles technologies, Intelligence Artificielle incluse.
La leçon à retenir
Le temps perdu ne se rattrape guère. Il vaudrait mieux se réveiller avant que notre vie ne soit passée sans qu’on ait levé le nez de nos écrans.