Petit décalage horaire d’été… Maintenant que nos cerveaux ont retrouvé le bon fuseau horaire, nous allons les chouchouter. Deux articles pour espérer en reprendre pleinement possession et aiguiser notre esprit critique ! Ca va briller sous le soleil !
L’ “attention engineering”
1. L’attention engineering est l’ensemble des techniques psychologiques utilisées pour retenir le plus longtemps possible l’attention d’un utilisateur, dans le but de maximiser les revenus publicitaires ou la collecte de données via un site ou une plate-forme.
2. Ce concept a émergé en 2017 avec l’auto-critique de Chamath Palihapitiya, ancien vice-président de Facebook, lors de son intervention “View from the Top Talk” à l’Université de Stanford. Quoi ! Un ancien de Facebook qui dénonce les méthodes de Facebook ? Il n'en fallait pas plus pour prendre conscience des méfaits de l’attention engineering.
“…we have created tools now that are ripping apart the social fabric of how society works. It is eroding the core foundations of how people behave, by and between each other. And I don't have a good solution. My solution is that I just don't use these tools anymore. I haven't for years."
Chamath Palihapitiya
3. L’attention engineering est devenu central dans l’UX Design (design d’expérience utilisateur), discipline dont l’objectif initial est de rendre intuitif un site ou une application. Car il est facile d’utiliser ce savoir-faire pour concevoir des applications addictives en exploitant nos vulnérabilités psychologiques.
4. Les attention engineers jouent sur notre addiction à la dopamine, ce neurotransmetteur sécrété naturellement par notre cerveau, qui nous procure un sentiment de bien-être, notamment lorsque nous atteignons un “objectif” (finir nos devoirs, être likés, gagner aux jeux de hasard, etc.). Sans surprise, ces techniques s’inspirent des pratiques des casinos.
5. Les réseaux sociaux sont actuellement les plus performants dans ce domaine, grâce à l’utilisation des “récompenses sociales imprévues” (notre post va-t-il nous valoir “un peu, beaucoup, pas du tout” de likes ? Il faut vite aller vérifier…) ou d’algorithmes nous fournissant notre dose (ah, les vidéos de chats !).
6. Heureusement, nous pouvons devenir notre propre attention engineer et reprendre le contrôle. Quelques habitudes toutes simples peuvent contrecarrer les intentions des mastodontes du digital : supprimer les notifications, fixer des limites au temps passé devant les écrans ou tout simplement laisser son téléphone ou sa tablette dans une autre pièce, etc. Des solutions d’une efficacité redoutable !
7. L’attention engineering s’étend désormais à d’autres domaines, dont l’information. Savoir lutter devient crucial. Car ces méthodes ne servent pas qu’à gagner de l’argent, elles servent aussi à gagner de l’influence et du pouvoir. Un cerveau averti en vaut deux.
La leçon à en tirer
L’attention engineering fait le plus gros hold-up du siècle en nous volant notre temps (les journées n’auront jamais plus de 24 heures). Du temps que nous pourrions passer à réfléchir (au secours !), à se parler (hum hum…) ou à aimer (ah, mieux, beaucoup mieux !).
Pour aller plus loin
Le documentaire The Social Dilemma - sélectionné à Sundance 2020
Le livre fondateur : Persuasive Technology: Using Computers to Change What We Think and Do de B.J. Fogg, fondateur du Behavior Design Lab à l’université de Stanford
Le livre salvateur : Dopamine Nation: Finding Balance in the Age of Indulgence: Lembke, Dr. Anna
Le livre pour se désintoxiquer : Réussir (sa vie) grâce au minimalisme digital - Moins de technologie, plus de concentration - broché - Michel Le Seac'h, Cal Newport
Le livre de développement personnel : Imperturbable - Développement personnel (Grand format - Broché 2020), de NIR EYAL | Talent Editions
L’association Center for Humane Technology
La “captology”
1. La captology (Computers As Persuasive Technologies) est l’étude des technologies numériques en tant qu’outils modifiant nos pensées et nos comportements. Ce domaine de recherche, encore peu connu, permet de mieux comprendre comment des sites web ou des applications sont conçues pour nous “persuader” d’agir d’une certaine façon.
2. Professeur de sciences comportementales à l’Université de Stanford, épicentre de la Silicon Valley, l’inventeur de ce concept, B.J. Fogg a créé le Behavior Design Labpour enseigner cette nouvelle discipline.
3. Surnommé le millionaire maker, B.J. Fogg doit son sobriquet aux nombreuses startups passées par son Lab, dont les dirigeants ont appliqué avec succès ses enseignements. Un exemple ? Mike Krieger, cofondateur d’Instagram dont la toute première version (2006) était un projet pour le cours de B.J. Fogg. Ça fait réfléchir…
4. Autre ancien élève : Tristan Harris, ex-Google et fondateur du Center for Humane Technology. Délaissant la voie royale de la tech, ce lanceur d’alerte dénonce les effets nocifs de la captology : les grands acteurs de la technologie en seraient devenus des experts afin de mieux pouvoir influencer le comportement des utilisateurs, même à leurs dépens.
5. De la persuasion à l’accoutumance, il n’y a qu’un pas. La technologie est désormais reconnue comme source de dépendance au même titre que l'alcool, la drogue ou le jeu. Affectant nos systèmes de plaisir, elle peut être utilisée pour fuir l’ennui, faciliter les interactions sociales ou échapper à la réalité.
6. Deux phénomènes renforcent les risques de dépendance :
Le renforcement positif intermittent, c’est-à-dire les récompenses non prévisibles. L’imprévisibilité de la récompense crée l’excitation qui, elle-même, devient addictive.
Exemple dans la vie “réelle” : les machines à sous.
Exemple dans le monde digital : les “Likes” (combien vais-je gagner de Likes avec cette photo ?). A première vue anodine, cette pratique est aujourd’hui considérée comme une véritable source de dépendance technologique. Une drogue dure…
L’approbation sociale. Notre besoin viscéral d’appartenance à un groupe nous entraîne à avoir de plus en plus “d’amis” en ligne, à leur faire savoir ce que nous faisons et à réagir aux événements de ces mêmes “amis” qui, en en retour, confirmeront notre existence en tant que membre du groupe, et ainsi de suite…. Difficile de s’arrêter, non ?
“It’s a social-validation feedback loop … exactly the kind of thing that a hacker like myself would come up with, because you’re exploiting a vulnerability in human psychology.”
Sean Parker, premier président de Facebook (à propos de l’introduction de la fonction Like en 2009)
7. Ces techniques de persuasion sont désormais intégrées dès la conception des sites ou applications, et sont souvent à la source même de leur succès. Les grands acteurs de la tech se sont trouvé un surnom parfaitement clair : les producteurs de tabac en T-shirt. Mieux vaut donc apprendre à (re)connaître ces techniques pour éviter d’en être les victimes non consentantes.
Et on ne peut s’empêcher de conclure avec Bill Maher, humoriste américain :
“Philip Morris just wanted your lungs. The App Store wants your soul.”
La leçon à tirer
Surtout que cela ne vous empêche pas de nous liker ! Je plaisante bien sûr… ou pas.
Pour aller plus loin
Comprendre le Persuasive Design - 7about
Le livre indispensable pour éviter l’accoutumance technologique : Digital Minimalism de Cal Newport
L’interview de B.J. Fogg, O32C Magazine
Technology addiction, Hazelden Betty Ford foundation