đŽ 7 about... le biais de normalitĂ© et le flĂ©au des âdata voidsâ
Le biais de normalité
1. Le biais de normalitĂ© est un biais cognitif qui nous conduit Ă sous-estimer la possibilitĂ© d'une catastrophe ainsi que ses effets, et Ă croire que la vie continuera normalement, mĂȘme lorsque la menace ou la crise est importante.Â
2. Cette âattente de normalitĂ©â peut nous empĂȘcher de nous prĂ©parer et de rĂ©agir de maniĂšre adĂ©quate Ă des changements que nous percevons comme peu probables ou simplement dĂ©rangeants, car nous voulons croire que tout restera tel que âça a toujours Ă©tĂ©â ou que tout rentrera dans lâordre naturellement.Â
A titre collectif, il peut sâagir de ne pas prĂ©parer les protocoles et matĂ©riels permettant de rĂ©agir Ă une crise telle quâune pandĂ©mie (âon nâest plus au moyen-Ăągeâ), une canicule (ânormal quâil fasse beau en Ă©tĂ©â), un tsunami (âun mur de protection de 6 mĂštres de haut, ça suffitâ), etc. La liste est longueâŠÂ
A titre individuel, nous avons du mal Ă souscrire Ă des assurances dĂ©cĂšs, Ă consulter sans attendre lorsque nous avons un doute liĂ© Ă notre santĂ©, Ă Ă©valuer objectivement lâĂ©volution de nos placements financiers, etc.Â
3. Ce biais est Ă©galement Ă l'Ćuvre lorsque nous mettons trop de temps Ă rĂ©agir face Ă une catastrophe Ă venir ou dĂ©jĂ en cours. A posteriori, on ne comprend pas comment des victimes de catastrophe ont pu autant tarder Ă Ă©vacuer. Par exemple, lors des attaques du 11 septembre, les occupants des tours jumelles ont mis en moyenne 6 minutes avant de se dĂ©cider Ă Ă©vacuer, certains jusquâĂ 30 minutes, prenant le temps de finir les tĂąches en cours et de bien fermer leurs ordinateurs. Idem en cas de tempĂȘtes ou dâinondations.Â
4. Le biais de normalitĂ© opĂšre Ă©galement dans le monde de lâentreprise et de lâinnovation au sens large. Il est difficile de comprendre et dâaccepter quâun changement est durable et irrĂ©versible, et quâil faut vite sâadapter sous peine de disparaĂźtre. Combien dâentreprises, mĂȘme les mieux Ă©tablies, ont fait faillite pour ne pas avoir cru au dĂ©veloppement du commerce en ligne ? On peut supposer que la mĂȘme chose risque de se produire avec lâadoption de lâIA.Â
5. Plusieurs processus cognitifs sont Ă la source de ce biais :
Nous accordons davantage de crĂ©dit Ă ce que nous expĂ©rimentons nous-mĂȘmes âdans la vraie vieâ quâĂ une Ă©valuation abstraite dâun risque.Â
Nous sommes sommĂ©s dâĂȘtre po-si-tifs en toutes circonstances, sous peine dâĂȘtre traitĂ©s dâoiseaux de mauvaise augure. Pourtant, prĂ©venir une catastrophe ne la fait pas arriver.
Nous souffrons du biais de confirmation : nous avons tendance Ă nous concentrer sur les informations conformes Ă nos croyances.Â
Nous prenons le temps de consulter plusieurs sources (proches, mĂ©dias, autoritĂ©sâŠ) avant de prendre une dĂ©cision.Â
Nous minimisons les risques afin de ne pas remettre en cause nos croyances et certitudes.Â
Enfin, il nous est plus difficile de croire en un risque donnĂ© lorsque nous avons prĂ©cĂ©demment expĂ©rimentĂ© de fausses alertes. Câest exactement ce que nous vivons lorsque retentit une alarme incendie : est-ce un exercice (dans ce cas-lĂ je ne bouge pas ou mollement) ou une vraie alerte (je laisse tout en plan et je me sauve) ?
6. Comment lutter ? Selon Jack Soll et John Payne, professeurs à Duke University, et Katherine Milkman, professeure à la Wharton School of Business, auteurs de A User's Guide to Debiasing, nous pouvons mettre en oeuvre une stratégie en quatre points :
Toujours faire trois hypothĂšses : basse, moyenne et haute.Â
Remettre en question nos prĂ©visions initiales : considĂ©rer que nos premiĂšres prĂ©visions sont erronĂ©es, et recommencer⊠En Ă©tudiant un mĂȘme problĂšme sous deux angles diffĂ©rents, nous aboutissons Ă un meilleur rĂ©sultat.Â
Faire un pre-mortem : envisager tout ce qui pourrait mal se passer et identifier les causes.Â
Adopter un point de vue extĂ©rieur : lorsque nous avons pris une dĂ©cision, rĂ©flĂ©chissons Ă ce qu'une personne extĂ©rieure pourrait en penser.Â
7. Enfin, il est possible de mettre en place des plans dâaction, sur le modĂšle des 5 P :Â
Prioriser (Prioritize)
Planifier (Plan)
Préparer (Prepare)
SâentraĂźner (Practice)
Dormir tranquille (Peace of mind)
Et couler des jours heureuxâŠÂ
Le leçon à retenir
« Ils ne savaient pas que câĂ©tait impossible, alors ils lâont fait. » â Mark Twain
â Ils croyaient que câĂ©tait impossible alors ils ne lâont pas fait (prĂ©voir).â â 7about
Le flĂ©au des âdata voidsâ
1. Un data void dĂ©signe un sujet sur lequel peu dâinformations sont disponibles sur les moteurs de recherche Internet. Ce manque de contenu ne demande quâĂ ĂȘtre comblĂ© par des informations⊠fausses, controversĂ©es ou malveillantes.Â
2. Câest en 2018 que deux chercheurs, Michael Golebiewski et Danah Boyd, employĂ©s par Microsoft, ont commencĂ© Ă nous alerter sur les risques de manipulation et de dĂ©sinformation que reprĂ©sentent les âdata voidsâ.
3. Un exemple⊠En juillet 2021, plusieurs mĂ©dias chinois se sont fait lâĂ©cho des travaux de Wilson Edwards, biologiste suisse, qui remettaient en question les origines chinoises du Covid-19. Sur son compte Facebook, Wilson Edwards nâhĂ©sitait pas Ă affirmer que «lâenquĂȘte de lâOMS sur les origines du coronavirus a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©e politiquement par les Etats-Unis.» ProblĂšme : Wilson Edwards nâexistait pas et nâa jamais existĂ©. Ce biologiste fictif avait Ă©tĂ© fabriquĂ© de toutes piĂšces, ainsi que les nombreux articles disponibles sur Google. AprĂšs enquĂȘte, lâambassade de Suisse en Chine a dĂ©noncĂ© en aoĂ»t 2021 lâinvention de ce biologiste qui ne figurait aucunement parmi les ressortissants de la ConfĂ©dĂ©ration HelvĂ©tique. Les articles et le compte Facebook ont alors commencĂ© Ă disparaĂźtre aussi mystĂ©rieusement quâils Ă©taient apparus. En attendant, le message Ă©tait passĂ©âŠÂ
4. Quelques techniques de manipulation via les data voids :Â
Les Breaking news (Ă©ditions spĂ©ciales) - Des faits dâactualitĂ© peuvent gĂ©nĂ©rer de façon soudaine un grand nombre de recherches sur Internet, qui nâaboutiront pas Ă grand-chose, les termes, concepts ou Ă©vĂ©nements Ă©voquĂ©s Ă©tant par dĂ©finition nouveaux. Il est alors facile de combler ce vide en mettant en ligne des contenus non vĂ©rifiĂ©s, faux, biaisĂ©s, etc. qui apparaĂźtront en tĂȘte des rĂ©sultats. Il faut juste ĂȘtre plus rapide que les autres.Â
La crĂ©ation de nouveaux termes - PremiĂšre Ă©tape : vous crĂ©ez un nouveau terme et mettez en ligne les contenus correspondants, optimisĂ©s pour les moteurs de recherche et les rĂ©seaux sociaux. Seconde Ă©tape : vous diffusez ce terme auprĂšs des mĂ©dias, ce qui gĂ©nĂ©rera des recherches qui aboutiront au contenu que vous avez prĂ©alablement crĂ©Ă© de toutes piĂšces, et voilĂ , la boucle est bouclĂ©e !Â
Le recyclage de termes obsolĂštes - MĂȘme technique avec des mots dont lâusage sâest rĂ©duit. Vous crĂ©ez de nouveaux contenus qui apparaĂźtront en tĂȘte des rĂ©sultats des moteurs de recherche. Vous nâavez plus quâĂ remettre le terme au goĂ»t du jour, et le tour est jouĂ©.
5. La manipulation peut ensuite ĂȘtre amplifiĂ©e par plusieurs procĂ©dĂ©s :
Lâauto-complĂ©tion des requĂȘtes (remplissage automatique) dans les moteurs de recherche, qui permet dâorienter vers des requĂȘtes types.Â
Lâautomatisation des partages et des likes artificiels sur les rĂ©seaux sociaux et moteurs de recherche, afin de figurer dans les sujets tendances.
6. Selon une Ă©tude publiĂ©e par Nature en 2023, les recherches sur Internet sont considĂ©rĂ©es comme plus fiables que les mĂ©dias traditionnels (journaux, radio, tĂ©lĂ©visionâŠ) oĂč pourtant l'information fait lâobjet de nombreux recoupements et vĂ©rifications. Câest le piĂšge ultime : le manipulateur identifie un vide informationnel sur Internet, prĂ©-fabrique des contenus faux et optimisĂ©s, considĂ©rĂ©s comme dignes de confiance, puis incite Ă la consultation de ces contenus. Un cercle vicieux parfait.
7. Les sujets peu documentĂ©s reprĂ©sentent des failles dâautant plus dangereuses que les moteurs de recherche et les rĂ©seaux sociaux constituent dĂ©sormais notre principal accĂšs Ă lâinformation. Pour combattre ce type de manipulation, les grandes plateformes comme Google ou Facebook se sont dotĂ©es dâĂ©quipes de fact-checking. Par ailleurs, de nombreuses organisations se sont spĂ©cialisĂ©es dans la lutte contre la dĂ©sinformation : International Fact-Checking Network, Newsguard, Snopes, FirstDraft, TheTrustProject, etc.
La leçon à tirer
Il va au moins nous falloir un deuxiĂšme cerveau pour rĂ©ussir Ă nous informer correctementâŠÂ
Pour aller plus loin
Le rapport de Michael Golebiewski et Danah Boyd (2018) - Data Voids: Where Missing Data Can Easily Be Exploited - Data & Society
Participer Ă lâInternational Factchecking Day - Poynter
Processus de notation et critĂšres de desinformation - Newsguard
Wilson Edwards, le biologiste suisse qui défend Pékin, mais qui n'existe pas - Le Temps