🔴 7 about... le “messenger effect” et la faille sismique de Taïwan
Le “messenger effect”
1. L'effet messager (messenger effect) est un biais cognitif que nous expérimentons tous les jours ou presque : la crédibilité, l'expertise ou les qualités que nous prêtons à la personne qui nous transmet une information, influencent grandement la façon dont nous recevons, interprétons et exploitons cette même information… au-delà de la qualité de l’information elle-même.
2. Comme souvent, notre cerveau utilise des raccourcis pour être en mesure de réagir au plus vite. Lorsque nous ne disposons pas de toutes les données nécessaires pour évaluer une information complexe, nous incluons dans notre analyse le jugement que nous portons sur le messager, même si celui-ci n'a joué aucun rôle dans la création du contenu du message.
3. Ce biais cognitif nous rend vulnérables à la manipulation, dans un sens positif comme négatif. Quelques exemples :
Un message de prévention santé passera mieux s’il est transmis par une personnalité populaire ou par un expert connu et reconnu.
Nous aurons tendance à ignorer des analyses économiques, même exactes, si elles sont présentées par des personnes dont nous ne partageons pas les opinions politiques.
Nous achèterons plus facilement les produits de beauté recommandés par une star.
Nous croirons davantage des éléments de propagande ou de désinformation s’ils sont relayés par un proche (cf. les réseaux sociaux).
Dans tous les cas, nous n’aurons pas évalué par nous-mêmes la véracité de ces informations.
4. L’effet messager a été étudié dans les années 1950 par Carl I. Hovland et Walter Weiss, chercheurs en psychologie à l’université de Yale. Ils ont démontré le rôle de la compétence dans la persuasion, en demandant à des étudiants, séparés en deux groupes, de lire les mêmes articles, pour les uns, signés par une personne identifiée comme experte, pour les autres, signés par un auteur considéré comme moins compétent. Vous vous en doutez, le premier groupe a davantage été influencé par ce qu’il a lu, que le second. Les articles étaient pourtant identiques.
5. Lors de ses travaux sur la propagande menés avec les chercheurs Irving Janis et Harold Kelley, Carl I. Hovland a également mis en lumière le très intéressant “effet d'assoupissement”. Dans un délai assez court (quelques jours ou semaines), nous avons tendance à oublier qui est l’émetteur d’un message (surtout si nous l’avons jugé peu crédible) alors que nous avons parfaitement mémorisé le message lui-même. Le message reste, l’auteur disparaît. C’est ce qui est également à l'œuvre dans ce dicton du XVIIème : “calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose”.
6. Alors comment éviter cet effet ? En n’oubliant pas de nous servir de notre cerveau… et en faisant ce que fait tout bon journaliste ou scientifique : multiplier et recouper nos sources.
7. Etre conscient de l’effet messager est encore plus crucial aujourd’hui alors que les deep fake se répandent. Que l’on apprécie le messager ou non, n’a plus tant d’importance puisqu’il peut s’agir d’un faux. En revanche, un fact checking sérieux, même rapide, peut être salvateur.
La leçon à retenir
Le motto du 21ème siècle : je doute donc je suis.
Pour aller plus loin
L’étude originelle de Carl I. Hovland et Walter Weiss - The Influence of Source Credibility on Communication Effectiveness
Carl Hovland: biographie et étude sur la communication persuasive - Nos Pensées
Le livre Messengers: Who We Listen To, Who We Don't, and Why - Stephen Martin and Joseph Marks
La faille de Taïwan
1. Située à l'est de Taïwan, la faille de Chelungpu menace l’île d’un tremblement de terre de grande ampleur. Si elle est moins connue que la faille de San Andreas en Californie, cette faille pourrait avoir des conséquences bien plus dévastatrices pour l’ensemble de la planète.
2. En effet, depuis près de 20 ans, Taïwan est devenu le principal producteur mondial de puces électroniques (11 % des puces mémoire et 37 % des puces logiques produites dans le monde). De plus, cette production est presque exclusivement concentrée entre les mains d’une seule entreprise - TSMC - qui fabrique environ 90 % des puces de dernière génération. A côté, l’OPEP avec ses 13 pays membres et 40 % du pétrole mondial fait figure de marché ouvert et concurrentiel (source : Statista). Aucun autre marché au monde n’est à la fois aussi stratégique et aussi concentré. Le tout sur une faille sismique…
3. Premiers touchés en cas de séisme à Taïwan et donc d’arrêt brutal de la production de puces : nos smartphones adorés puisqu’ils comportent en moyenne une dizaine de puces électroniques majoritairement fabriquées à Taïwan, suivis de nos ordinateurs et de nos data centers. Le déploiement de la 5G et de l’intelligence artificielle serait également bloqué. Et l’impact ne se limiterait pas à nos produits informatiques : nos voitures, avions, fours à micro-ondes, machines à laver… bref, à peu près tout ce qui compose notre vie quotidienne, seraient également impactés car une seule puce vous manque et tout arrête de fonctionner.
4. Si les usines de TSMC étaient inutilisables, il faudrait au moins cinq ans avant de pouvoir retrouver le niveau de production actuel. Pour avoir une idée des conséquences, retournons en arrière… Après avoir gelé leurs commandes de puces lors des confinements liés au Covid, les constructeurs automobiles ont eu des difficultés à se réapprovisionner. En raison de ces pénuries de semi-conducteurs, ils n’ont pas pu honorer 7,7 millions de commandes de véhicules, ce qui a représenté un manque à gagner estimé à 210 milliards de dollars en 2021. Un aperçu très modeste de ce que pourrait signifier un arrêt de la fabrication des semi-conducteurs (source : The Chip War, Chris Miller).
5. Chaque année, Taïwan enregistre jusqu’à 15 000 secousses sismiques. Dernier grand tremblement de terre, le séisme de Chi Chi (7,6 sur l’échelle de Richter) a coûté la vie à près de 2 400 personnes le 21 septembre 1999. La survenue d’un séisme majeur est donc un risque probable, peut-être encore plus qu’une invasion de l’île par la République Populaire de Chine.
6. Premier importateur mondial de puces électroniques, la Chine serait d’ailleurs le pays le plus impacté par l’arrêt de leur fabrication. En 2023, malgré les restrictions américaines, elle a dépensé 350 milliards de dollars pour acheter 500 milliards de puces (et “seulement” 337 milliards de dollars pour importer du pétrole) selon le South China Morning Post). Eh oui, depuis près de 20 ans, la Chine dépense plus en puces qu’en pétrole.
7. La loi de Murphy stipule que « tout ce qui est susceptible d'aller mal ira mal ». Selon ce principe, il est difficile d’imaginer une situation plus périlleuse que le réveil de la faille sismique de Taïwan. Suspendre soudainement 37 % de la production mondiale des puces électroniques aurait des conséquences économiques encore plus désastreuses que la crise du COVID.
La leçon à tirer
On va peut-être réapprendre à compter sur nos doigts finalement…
Pour aller plus loin
LE livre indispensable : The Chip War - Chris Miller
Séismes : quelles sont les régions les plus à risque dans le monde ? - Futura
Le séisme de Chichi (1999) - Science Direct
The power of Taiwan's chip industry - Power and beyond