🔴 7 about... le moment Minsky, l’effet “hard-easy” et la grande dé-retraite
Le moment Minsky
1. Le “moment Minsky” désigne ce point où les marchés s’effondrent, lorsque des investisseurs surendettés se trouvent dans l’obligation de vendre rapidement leurs actifs, afin récupérer des liquidités et de rembourser leurs dettes. La baisse est aussi rapide qu’inexorable.
2. Ce phénomène porte le nom de l’économiste américain Hyman Minsky (1919 - 1996), professeur à la Washington University à St. Louis. Marqué par la grande dépression de 1929, il a consacré l’essentiel de ses travaux à l’analyse des crises financières.
3. Selon Minsky, le cycle des crises se décompose en 4 étapes :
Après une crise, les banques sont très prudentes dans leur allocation de crédit.
La prospérité retrouvée semblant durable, les banques consentent des prêts de plus en plus risqués.
Les emprunts finissent par excéder les revenus des investisseurs, qui deviennent insolvables.
Afin de rembourser les banques, les investisseurs doivent vendre leurs actifs, même non spéculatifs : les marchés baissent, les besoins de liquidités augmentent (moment Minsky). C’est la crise et on recommence.
4. Isolé, à contre-courant du néolibéralisme des années 80, Hyman Minsky a toutefois vu ses théories connaître un regain d’intérêt au moment de la crise financière de 2008. On se demande bien pourquoi…
5. Dans son ouvrage Stabiliser une économie instable (1986), Hyman Minsky développe "l'hypothèse d'instabilité financière" : si tout va bien (croissance stable), alors les investisseurs prennent plus de risques pour gagner plus d’argent. Ces risques conduisent à la crise (voir plus haut) et donc à l’instabilité. Conclusion : la stabilité engendre l'instabilité.
Stability is destabilizing.
6. Plus la stabilité est longue, plus la déstabilisation sera profonde, et plus le choc sera violent. Au final, ce sont les Etats et les banques centrales qui interviennent lorsque la crise devient trop dangereuse. C’est ce qui nous a évité de revivre une grande dépression en 2008.
7. A l’encontre d’une réaction émotionnelle et court-termiste, l’analyse contre-intuitive de Minsky apporte une clef de lecture utile pour chacun d’entre nous et pour nos gouvernements. Il n’y a plus qu’à se préparer pour l’inévitable prochaine crise…
La leçon à en tirer
Laissons le dernier mot au fameux investisseur Warren Buffet : “be fearful when others are greedy, be greedy when others are fearful”.
Pour aller plus loin
Un dernier p’tit sou, extrait du film référence sur la spéculation “Le sucre”
Dans un genre plus anglo-saxon mais sur le même thème, l’extrait de Margin Call. Pour le plaisir de revoir la géniale interprétation de Jeremy Irons “when the music stops”.
L’effet “hard-easy”
1. L’effet “hard-easy” est le biais cognitif par lequel nous sous-estimons nos chances de réussite pour des tâches faciles, alors que nous les surestimons pour des tâches difficiles.
2. Ce biais a été identifié par Sarah Lichtenstein et Baruch Fischhoff, chercheurs et fondateurs de l’institut Decision Research, spécialisée dans l’analyse et l’étude du risque.
3. Ces erreurs d’appréciation ne sont pas sans conséquences puisque nous prenons nos décisions sur la base de nos “prédictions”. Si nous anticipons un échec, nous renonçons alors que, s’il s’agit de tâches faciles, nous aurions été à même de réussir : nous passons donc à côté d’opportunités intéressantes.
4. A l’inverse, si nous sous-estimons notre risque d’échouer, nous nous lançons dans des opérations (trop) difficiles, sans en prendre la mesure et sans être convenablement préparés. Un exemple historique : la guerre de 1870 déclarée avec une certaine légèreté et une confiance remarquable par Napoléon III, qui le conduira pourtant à sa chute en quelques semaines, puis au siège de Paris, et contribuera à l’engrenage des deux guerres mondiales… Bref, des décisions prises sur des “prédictions” erronées peuvent avoir des conséquences.
5. Autre inconvénient qui touche notamment les entrepreneurs et les indépendants : nous avons tendance à surestimer nos capacités et à penser que nous pouvons tout faire nous-mêmes, sans faire appel à d’autres professionnels… Épuisant, décourageant, dangereux.
6. Plusieurs pistes sont avancées pour expliquer ce biais :
l’effet Dunning-Kruger qui consiste à surestimer ses compétences dans des domaines que l’on connaît juste un peu,
le biais de confirmation qui incite à privilégier les informations correspondant à ce que nous pensons déjà, et à refuser les informations qui nous obligeraient à changer d’avis ou de conviction,
la loi de futilité de Parkinson qui décrit notre tendance à passer beaucoup plus de temps sur des choses sans beaucoup d’importance, au détriment de ce qui compte vraiment.
7. Un peu d’espoir ? Nos prédictions sont davantage (mais pas totalement) exactes et précises lorsque nous connaissons bien le sujet concerné. Toutefois, l'intelligence académique ne permet pas de réduire l’effet “hard-easy”. Faites des études, qu’ils disaient…
La leçon à retenir
Se méfier quand on pense “ouais, facile, j’en ai pour deux heures max et c’est bouclé…”.
Pour aller plus loin
L’article Do those who know more also know more about how much they know? - ScienceDirect
L’article The Hard–Easy Effect in Subjective Probability Calibration - Liana Suantak, Fergus Bolger, William R. Ferrell
La grande dé-retraite
1. Le “great un-retirement” (ou la “grande dé-retraite” si on essaye de le traduire) désigne ce phénomène que l’on constate actuellement dans les économies avancées : le retour des plus de 50 ans dans la vie active.
2. La crise du covid a provoqué un départ massif des seniors à la retraite : en octobre 2021, les Etats-Unis par exemple comptaient 3,3 millions de retraités de plus qu’en octobre 2020 (source : Institute for Economic Equity). Que ces départs aient été souhaités ou contraints, les seniors ont été les premiers ciblés lorsque les effectifs ont été réduits.
3. Toutefois, la tendance s’est vite retournée puisque l’après-covid a été marqué par une sévère pénurie de main-d'œuvre. Ainsi, ne serait-ce qu’aux Etats-Unis, il manquerait deux millions de travailleurs. Grande démission, grande retraite… mais aussi une raison beaucoup plus tragique dont on peine à parler : “près d’un demi-million de personnes qui auraient dû travailler, sont mortes du covid”, a ainsi déclaré Jerome Powell, président de la Réserve Fédérale américaine, en se fondant sur des études menées par le National Bureau of Economic Research. L’impact de ces décès sur l’économie, aux Etats-Unis comme en Europe, est encore peu discuté, probablement parce que cette réalité est trop difficile à affronter.
4. En ce qui concerne les retraités, on note une nette tendance à vouloir revenir dans le monde du travail. Aux Etats-Unis, selon un sondage CNBC, 68 % des personnes “mises à la retraite” pendant le COVID souhaiteraient désormais retravailler. La hausse de l’inflation y est probablement pour beaucoup. Précision importante : rien n’indique une volonté des salariés en activité à travailler plus longtemps.
5. Alors que leur besoin en main-d’œuvre s'accroît, les entreprises des économies développées vont devoir s’adapter au vieillissement de la population active puisque, selon l’OCDE, la proportion des plus de 50 ans atteindra 45 % en 2050 contre 37 % en 2020.
6. Pourtant, cette tendance inéluctable se heurte aux préjugés des entreprises. Selon une étude mondiale menée en 2021 par Generation, les employeurs, que ce soit en Inde, en Italie, aux Etats-Unis, en Espagne, au Royaume-Uni… déclarent préférer les moins de 45 ans, qui seraient plus en phase avec la culture de l’entreprise. Etude après étude, le constat reste le même : l’âge demeure le premier critère de discrimination à l’embauche.
7. Le mélange des générations au sein de l’entreprise est pourtant un atout. Toujours selon l’OCDE, offrir davantage d’opportunités de travail aux plus de 50 ans ferait progresser de 19 % le PNB par habitant des pays développés.
La leçon à en tirer
Je me souviens d’une directrice de la communication qui, à 38 ans, faisait déjà office de “senior”... Comme elle avait fini ses études à 24 ans et avait dû être considérée comme débutante pendant encore quelques années, elle n’a été au “bon” âge que pendant une petite dizaine d’années. Dommage d’avoir fait l’une des meilleures écoles au monde pour n'être considérée comme performante que pendant dix ans. Quelle perte aussi pour ceux qui auront gaspillé cette précieuse intelligence !
Pour aller plus loin
Resarch: the average age of a successful startup founder is 45, Harvard Business Review
La perception des discriminations dans l’emploi, Rapport du Défenseur des droits.
L’âgisme - 7about.fr