Le “reverse pilot” ou l’art de savoir soustraire
1. Le reverse pilot (ou pilote inversé en bon français) désigne une méthode de travail préconisant de stopper une activité pendant un temps donné et de voir ce qu’il se passe. Objectif : tester si cet arrêt a des effets positifs, par exemple une plus grande efficacité…
2. Le reverse pilot a été théorisé par Greg McKeown, auteur du best-seller Essentialism, dans lequel il prône le “less but better”. En nous concentrant uniquement sur les tâches essentielles, nous serions bien plus efficaces. Une variante du fameux “less is more” de l’architecte allemand Mies Van der Rohe, figure emblématique du Bauhaus.
“In a reverse pilot you test whether removing an initiative or activity will have any negative consequences.”
Greg Mckeown
3. L’addiction à l’addition… Cela a l’air simple mais pratiquer le reverse pilot n’a rien d’intuitif. En effet, dans les entreprises et autres organisations, nous avons largement adopté la culture de l’addition, le postulat étant qu’ajouter sans cesse de nouvelles tâches ou activités générerait de la croissance. Et si, au contraire, la croissance et les résultats provenaient de l’abandon d’activités inutiles ?
4. Leidy Klotz, universitaire et auteur américain adepte de la “soustraction”, a mené des tests démontrant notre tendance à préférer ajouter qu’enlever… Son outil ? Les Legos. Pour équilibrer un pont fabriqué en Legos, on peut soit ajouter une brique, soit en enlever une. Dans plus de 80 % des cas, les participants optaient pour l’ajout d’une brique, illustrant ainsi le “biais d’addition”.
5. Comment lutter contre ce biais et pratiquer le reverse pilot ? Quelques règles simples :
Un travail d’équipe : les séminaires (mensuels, trimestriels…) sont les meilleurs moments pour mettre en œuvre le reverse pilot. On décide ensemble d’arrêter certaines activités puis on fait un bilan lors du séminaire suivant. Cela changera de ces réunions où l’on ne cesse d’ajouter, d’ajouter…
Une période d’essai limitée : idéalement entre 4 et 12 semaines.
Des critères définis : avant de commencer le test, identifiez vos critères d’évaluation, puis analysez et documentez les effets produits.
Pourquoi limiter les bienfaits du reverse pilot au monde professionnel ? Vous pouvez appliquer le solo reverse pilot dans votre vie personnelle : ça fonctionne aussi très bien…
6. La capacité à soustraire est depuis longtemps l’une des marques de fabrique des plus grands artistes. Selon Léonard de Vinci, “les hommes de grand génie accomplissent parfois le plus lorsqu'ils travaillent le moins.”
Plus près de nous (et avec beaucoup moins de génie…), Marie Kondo, la star du rangement, nous encourage à débarrasser de notre vie, les objets et vêtements qui ne nous procurent pas de joie.
Enfin, laissons le mot de la fin au sage Lao Tseu :
“Pour acquérir de la connaissance, ajoutez des choses tous les jours. Pour atteindre la sagesse, soustrayez des choses tous les jours.”
7. L’ajout permanent renvoie à notre peur de manquer, aussi bien dans nos vies personnelles que professionnelles. Pourtant, ce réflexe a un coût, financier bien sûr, mais aussi environnemental qui devient exorbitant dans un monde aux ressources finies.
La leçon à tirer
On a toujours tendance à en faire trop…
Avant de sortir, jetez un dernier coup d'œil dans le miroir et enlevez un accessoire.
Coco Chanel
Pour aller plus loin
La vidéo Why our brains struggle to subtract, le test du Lego de Leidy Klotz
Le livre Essentialism, the disciplined pursuit of less - Greg McKeown
Le livre Substract - Leidy Klotz
Le “Sahara Forest Project”
1. Le Sahara Forest Project a permis de développer une ferme pilote en Jordanie (Aqaba) qui depuis son lancement en 2017 a produit plus de 220 tonnes de légumes (concombres, poivrons, légumineuses, fruits de la passion…) en plein désert (mais proche de la côte) en utilisant simplement de l’énergie solaire, de l’eau de mer… et un peu d’intelligence.
2. L’objectif du projet est de mettre en œuvre des techniques simples pour s’adapter au changement climatique et freiner la désertification en revégétalisant des zones arides.
3. La ferme fonctionne avec des panneaux solaires et de l’eau de mer. Explication : En créant des zones d’ombre, les panneaux solaires permettent de protéger les cultures de la brûlure du soleil tout en produisant l’énergie nécessaire pour transformer l’eau de mer acheminée par camion (argh !) ou pipeline (mieux !), en vapeur d’eau qui vient humidifier les cultures (uniquement sous serres) et en eau douce utilisée pour l’irrigation ou la consommation humaine.
4. Une fois les récoltes faites, les déchets organiques sont valorisés, soit comme engrais naturel pour fertiliser les sols, soit comme biogaz pour produire de l’énergie.
5. Reposant sur l’acheminement d’eau salée dans le désert, ce projet doit permettre de créer un ensemble cohérent d’activités économiques : production d'algues, mariculture (aquaculture en milieu marin), culture d'halophytes (plantes adaptées aux milieux salés), dessalement, extraction de sel, production d’énergie photovoltaïque, bioénergie, etc. Il s’agit de créer un cercle vertueux économique et écologique.
6. Autre volet du projet : le programme de formation “She Grows”. En collaboration avec la Al Hussein Technical University, le Sahara Forest Project accueille de jeunes ingénieures jordaniennes souhaitant se former à ces technologies d’agriculture innovantes et durables.
7. Ce projet a été initié en 2009 par la Sahara Forest Project Foundation (Oslo) lors de la conférence des Nations Unies sur le climat se déroulant à Copenhague. Après un projet pilote au Qatar, cette fondation a construit la ferme d'Aqaba à l’invitation du roi de Jordanie. Le Sahara Forest Project est également soutenu par le gouvernement norvégien, l’Union Européen et l’ONG norvégienne Bellona Foundation.
La leçon à retenir
Revenons aux fondamentaux : de l’eau, du soleil, la vie ! Nous n’avons pas forcément besoin d’exploits hi-tech ni de génies bizarres…