L’effet de la main brûlante
1. L’effet de la main brûlante (ou erreur de la série gagnante) désigne notre tendance à croire qu’une série (courte et récente) de réussites est destinée à se poursuivre. Si nous réussissons une fois, deux fois, trois fois, dans une tâche donnée, nous pensons que nous continuerons “naturellement” à réussir… ce qui est le plus souvent faux.
2. Cet effet a été analysé dès 1985 par Amos Tversky, Thomas Gilovich et Robert Vallone, spécialistes en sciences comportementales, dans une étude portant sur des joueurs de basket-ball professionnels. Ils ont constaté que, après avoir marqué un panier, les joueurs n’enchaînaient généralement pas une série de paniers réussis mais revenaient à des performances “moyennes”, voire inférieures. Leur réussite était donc davantage une question de chance que de compétence pure.
3. Les erreurs d’appréciation liées aux “séries gagnantes" ne se limitent pas au sport. Bourse, jeu ou même activités quotidiennes, nous sommes victimes de l’effet de la main brûlante dès que nous prenons des décisions à partir de données récentes et limitées. En privilégiant le court terme, nous augmentons notre prise de risque. Prenons l’exemple de la bourse : une étude célèbre de Joseph Johnson montre que nous sommes plus enclins à acheter des actions après une série de hausses successives et à les vendre après une série de baisses successives. Cette tendance est contraire à une approche rationnelle d’investissement, puisque cela revient à acheter quand les prix sont hauts et à vendre quand les prix sont bas.
4. Des facteurs psychologiques expliquent ces erreurs d’interprétation :
Le besoin de sens : nous, humains, avons du mal à admettre le pur hasard et avons besoin de donner du sens aux événements que nous vivons.
L’illusion de compétence : nous avons tendance à attribuer notre réussite à nos compétences plutôt qu’au hasard.
Il nous est difficile d’admettre qu’une série peut être aléatoire et n’être que le fait du hasard. A partir des quelques données dont nous disposons, nous imaginons un lien de “cause à effet” qui pourtant n’existe pas.
5. Ce lien de “cause à effet” supposé nous fait ignorer deux notions fondamentales :
L’indépendance statistique : le fait que des événements se soient déjà répétés n’augmente pas les chances qu’ils se répètent à l’avenir.
Exemple : si l’on joue trois fois à pile ou face, et que la pièce tombe trois fois de suite sur le côté pile, la probabilité que cette pièce tombe une quatrième fois sur le pile sera toujours de 50/50 (indépendance statistique).
La régression vers la moyenne : après avoir été mesurée à un niveau extrême, une variable tend à se rapprocher des niveaux moyens à la mesure suivante.
Exemple : si l’on joue vingt fois à pile ou face, même si le pile est “sorti” les trois premières fois, il est probable que le pile sortira finalement environ une fois sur deux. La moyenne se rapprochera donc bien du 50/50.
6. L’effet de la main brûlante est hautement contagieux et peut toucher tout un ensemble de personnes, au risque de conduire à des phénomènes globaux tels que les bulles spéculatives.
7. Des études plus récentes (A. Bocskosky, J. Ezekowitz, C. Stein) ont cependant montré que, dans certains cas, une série successive de réussites pouvait résulter d’une confiance accrue du joueur. Tout ne serait donc pas forcément le fruit du hasard, la réussite pouvant renforcer la réussite. Ce qui n’est pas une raison pour ignorer délibérément les règles les plus élémentaires de la statistique.
La leçon à tirer
"Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs."
Jean Cocteau
Pour aller plus loin
La vidéo : la “hot hand fallacy” expliquée par Selena Gomez et Richard Thaler (extrait de l’excellent film The Big Short)
Tout savoir sur le pile ou face - Wikipedia
Losers, Winners, and Biased Trades - J. Johnson, G. Tellis, J. Macinnis
The Law of small numbers - Psychology IResearchNet
Les “super-agers”
1. Un super-ager est une personne âgée de 80 ans et plus, dont les fonctions cognitives et les capacités de mémoire sont équivalentes à celles d’une personne ayant 20 à 30 ans de moins.
2. Ce terme a été inventé en 2008 par des chercheurs de la Feinberg School of Medicine (Northwestern University - Chicago) au sein de l’institut Mesulam Center for Cognitive Neurology and Alzheimer’s disease. Ce centre cherche à identifier les facteurs génétiques et les facteurs liés aux modes de vie pouvant expliquer ces capacités hors du commun.
3. On reconnaît les super-agers non seulement à leur excellente mémoire mais surtout à la taille de leur cerveau… En effet, dans le cadre de ces études, les IRM pratiquées sur les super-agers ont montré qu’ils perdent moins de volume cérébral (1,06 % par an) que le commun des mortels au même âge (2,24 % par an). On ne s’emballe pas : toujours selon ces recherches, moins de 10 % des personnes estimant avoir une excellente mémoire remplissent ce critère.
4. Alors, comment vieillir en super-ager ? L’élément décisif serait la volonté d’apprendre et de découvrir sans cesse de nouvelles choses dans des domaines qui ne nous sont pas familiers, même (et surtout) si cela semble difficile. Une langue étrangère, un instrument de musique, des maths (arghhh !)... Bref, tout ce qui oblige notre cerveau à sortir de sa zone de confort.
5. A formation et QI égaux, notre attitude face à la difficulté ou à la nouveauté serait déterminante : s’agit-il d’un défi à relever ou d’un obstacle infranchissable ? Il y aurait donc une prime à l’optimisme.
6. Autre aspect essentiel : les super-agers développent davantage de relations sociales. Selon le docteur Lee A. Lindquist, le nombre de neurones de von Economo (rôle bénéfique dans le développement des comportements sociaux) étaient quatre à cinq fois plus nombreux dans le cerveau des super-agers, que dans le cerveau d'une personne moyenne de 80 ans.
7. Enfin, bien sûr, comme nous ne sommes pas de purs esprits, la façon dont nous traitons notre corps compte. Alimentation, sommeil, alcool, et surtout activité physique : notre cerveau aussi adore avoir plus d’oxygène. Selon certaines études, les octogénaires qui pratiquent une activité de haute intensité pendant 20 à 45 minutes par jour ont les mêmes capacités aérobiques qu’une personne de trente ans de moins… Ca fait réfléchir.
La leçon à retenir
“80 is the new 50.”