L’effet Lollapalooza
1. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je ne vais pas vous parler aujourd’hui de musique ni de festival… mais de finance comportementale, puisque l’effet Lollapalooza est l’influence que peut avoir sur notre comportement, le cumul et la combinaison de facteurs, biais cognitifs et préjugés, quels qu’ils soient, dès lors qu’ils se renforcent mutuellement. Les conséquences de cet effet peuvent être inattendues, voire extrêmes. A noter qu’en anglais, « lollapalooza » signifie quelque chose d’extraordinaire, de merveilleux, de prodigieux…
2. Cet effet a été présenté pour la première fois en 1995 lors d’un discours intitulé Psychology of Human Misjudgment, prononcé devant des étudiants de Harvard par Charlie Munger, célèbre investisseur, associé de Warren Buffett dans la tout aussi célèbre société d’investissement Berkshire Hathaway.
3. Selon Charlie Munger, il est important de savoir reconnaître cet effet car, non maîtrisé, il peut conduire à des comportements irrationnels et extrêmes chez des individus ou des groupes. Ainsi, le cumul de biais tels que la preuve sociale, le biais de confirmation, le biais d'autorité, le biais d’optimisme, etc. peut influencer de manière déraisonnable nos décisions financières, conduisant à des krachs boursiers, des bulles spéculatives, des prises de risques inconsidérées…
4. Hors de la sphère financière, cet effet pourrait expliquer certains phénomènes sectaires, les comportements mis en lumière par la célèbre expérience de Milgram… et même des phénomènes politiques extrêmes tels que l’ascension d’Adolphe Hitler.
5. Cet effet peut également intervenir dans des domaines tels que le marketing. Charlie Munger a cité Coca-Cola comme exemple de l’effet Lollapalooza appliqué à une société : recette secrète (effet de rareté), communication centrée sur le partage (preuve sociale), omniprésence dans les magasins (effet réseau), coûts de production réduits (effet d’échelle), identité forte (effet marque), etc. La combinaison de ces facteurs, biais et croyances crée une barrière à l’entrée qui se renforce d’elle-même et devient infranchissable pour d’éventuels nouveaux concurrents.
6. Bien que l’effet Lollapalooza soit le plus souvent présenté comme négatif, il peut toutefois avoir des conséquences positives. Selon Charlie Munger, le succès des Alcooliques Anonymes s’explique ainsi, les nouveaux membres essayant de suivre l’exemple de leurs parrains et des autres participants.
7. Pour Charlie Munger, les investisseurs doivent avoir un modèle mental « resistant » à l’effet Lollapalooza, en particulier en période de bulle spéculative ou de krach. S’il n’existe pas d’antidote simple, il est néanmoins possible de mettre en place quelques stratégies :
identifier les biais en jeu et les traiter un par un, selon leur ordre d’importance
réfléchir à long terme, l’effet Lollapalooza concernant surtout des tendances à court terme
chercher des avis extérieurs et objectifs
La leçon à retenir
Surtout ne jamais oublier de se servir d’un truc très pratique, chic et pas cher : son esprit critique.
Pour aller plus loin
Le script du discours de Charlie Munger à Harvard en 1995
Le livre Poor Charlie’s Almanack: The Essential Wit and Wisdom of Charles T. Munger (English Edition)
L’article How to Invest Like Charlie Munger
Les armes autonomes Anduril
1. Zoom sur Anduril, une startup américaine de Defense Tech, spécialisée dans les armes autonomes, qui, pour être discrète, n'en est pas moins l'une des plus puissantes au monde. Le nom Anduril fait référence à l’épée d’Aragorn, l’un des personnages du Seigneur des anneaux de Tolkien.
2. Anduril a été créée par Palmer Luckey, californien de 31 ans déambulant en tongs, shorts et chemise hawaïenne, surtout connu pour avoir créé les casques de réalité virtuelle Oculus, société qu’il a revendu à Facebook, deux ans après sa création, pour la modique somme de 2 milliards de dollars. Luckey n’avait alors que 21 ans. Depuis Le Cid, on savait que la valeur n’attendait pas le nombre des années, mais à ce point-là… Après la vente, les relations se sont tendues, conduisant Palmer à prendre la porte. En cause : le financement d’un groupe anti-Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016. En effet, Luckey est un fervent supporter de Donald Trump.
3. Spécialisée dans les nouvelles générations d’armes boostées à l’Intelligence Artificielle (drones autonomes, appareils de surveillance…), Anduril connaît une croissance vertigineuse. Créée en 2017, elle emploie déjà 2 500 employés et prévoit de réaliser plus d’un milliard de dollars de chiffres d’affaires en 2026.
4. Anduril fabrique des armes qui, il y a encore quelques années, semblaient relever de la science-fiction. Quelques exemples :
Des tours de garde autonomes (utilisées pour surveiller la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique). Anduril a proposé son produit à l’Ukraine, mais le gouvernement américain a refusé de l’inclure dans son package d’aide.
Les drones autonomes Altius-600M (fournis par centaines à l’armée ukrainienne).
Les drones Roadrunner à décollage vertical (roadrunner fait référence au dessin animé “bip-bip et le coyotte”, ce volatile qui court toujours plus vite que son prédateur).
Précision importante : l’ensemble des armes produites par Anduril sont opérées via une plateforme d’intelligence artificielle (machine learning), baptisée Lattice. Résultat : toutes les armes peuvent communiquer entre elles et être régulièrement mises à jour.
5. Comme SpaceX ou Palantir, Anduril appartient à cette nouvelle génération de fournisseurs issus de la Silicon Valley, qui, en proposant des armes à la fois moins chères et plus technologiques, viennent concurrencer les traditionnelles dix entreprises qui monopolisaient à elles seules 80 % des dépenses d’armement américaines. Les montants sont colossaux : pour la seule année 2024, l’armée américaine dépensera 842 milliards de dollars. Les investissements réalisés par les VC (Venture Capital) dans la Defense Tech ont doublé entre 2019 et 2023 pour atteindre 33 milliards.
6. Anduril illustre également le virage pris par la Silicon Valley vis-à-vis de l’industrie de l’armement. Il semble loin le temps où des Google ou Microsoft rechignaient à répondre aux commandes du Pentagone. Profitant du vide laissé par les GAFAM, les Anduril, Space X ou Palantir ne s’embarrassent pas de tels scrupules. Sans surprise, Space X et Peter Thiel (fondateur de Palantir) figurent parmi les investisseurs d’Anduril. Même Open AI, l’inventeur de ChatGPT, vient de modifier ses conditions d’utilisation afin d'autoriser l’emploi de sa technologie à des fins militaires.
“I believe in the United States of America. I believe in a strong national defence. And I believe in Anduril.”
Marc Andreessen (CEO du fonds A16Z et investisseur d’Anduril)
7. Un autre Oppenheimer ? Les armes autonomes, notamment celles fabriquées par Anduril, peuvent techniquement se passer de tout contrôle humain, ce qui fait peser sur l’humanité une menace aussi terrifiante que celle de l’arme nucléaire. L’argument d’Anduril rappelle étrangement la vision d'Oppenheimer : disposer d’armes d’une telle puissance serait censé dissuader tout ennemi potentiel, de déclencher un conflit contre ceux qui les détiennent (à savoir les Etats-Unis et leurs alliés selon Anduril).
La leçon à tirer
Dans certains domaines, l’imagination des êtres humains est malheureusement sans limite.
Pour aller plus loin
The US and 30 Other Nations Agree to Set Guardrails for Military AI - Wired
L’interview de Palmer Luckey : AI Is Changing the Game - Bloomberg Technology