L’effet Semmelweis
1. L’effet Semmelweis est ce biais cognitif qui nous fait rejeter de nouvelles idées, connaissances et même preuves scientifiques, simplement parce qu’elles viennent contredire nos convictions ou les normes et croyances déjà établies dans notre environnement. Bien sûr, ce phénomène rend la vie particulièrement difficile aux innovateurs et scientifiques “révolutionnaires”...
2. Cet effet se distingue du biais de confirmation : il s’agit, dans le premier cas, de rejeter les informations pouvant remettre en cause ce que nous croyons déjà, alors que, dans le second, il s’agit de rechercher des informations qui vont renforcer nos convictions et croyances pré-existantes.
3. Ce biais porte le nom d’un médecin hongrois - Ignace Semmelweis - qui pour son malheur a eu raison avant tout le monde. En 1847, soit une vingtaine d’années avant la “découverte” des microbes par Pasteur, il constate, au sein de l’hôpital de Vienne, que dans la maternité où exercent les médecins, une femme sur cinq meurt en couches (fièvre puerpérale) alors que dans la maternité où n’exercent que des sage-femmes, ce chiffre n’est “que“ de une sur trente. La différence est donc tout sauf négligeable ! Après différentes recherches, il finit par en comprendre la cause : les médecins passent de la salle d’autopsie à la salle d'accouchement sans se laver les mains. Lorsqu’à sa demande, les médecins se lavent les mains, la mortalité est divisée par 10. Pourtant, ses conclusions ont été moquées et réfutées, le plus souvent pour des raisons non-médicales dont, par exemple, “un médecin étant un homme respectable, ses mains ne peuvent pas être sales”. On croit rêver. “Autres temps, autres mœurs”. Pour avoir rompu avec les croyances scientifiques de son époque, il est rejeté et meurt oublié dans un hôpital psychiatrique.
"Semmelweis fut un très grand cœur et un grand génie médical."
Louis Ferdinand Céline - Semmelweis (1936)
4. Même s’il porte le nom d’un médecin visionnaire du 19ème siècle, cet effet n’a rien de nouveau, comme le montre l’une de ses plus célèbres manifestations : la condamnation de Galilée par l'Église catholique alors qu’il apporte la preuve scientifique que la Terre est ronde et tourne autour du soleil (même si certains Américains ont encore du mal à le croire en 2021, cf. une étude de l’Université du New Hampshire).
5. Quelques exemples plus actuels :
Encore aujourd’hui, les origines humaines du réchauffement climatique sont régulièrement remises en question, alors que les preuves s’accumulent (malheureusement).
Le scepticisme face au e-commerce a provoqué la faillite et la disparition de nombreuses marques, résistantes au changement.
Les conceptions ou les traitements innovants dans le secteur de la santé sont parfois accueillis avec scepticisme.
En clair, il nous est plus facile de continuer à croire à notre conception du monde que de voir comment le monde fonctionne réellement.
6. Cet effet peut être particulièrement dangereux lorsqu’il concerne la politique, la géopolitique et les risques de conflit. En effet, afin de ne pas s’opposer aux idées communément admises, un analyste ou un dirigeant peut renoncer à des conclusions conformes à la réalité mais contraires aux croyances idéologiques dominantes. Cela peut conduire à des erreurs d’évaluation et d’interprétation conduisant à des décisions “hors sol”. Si un pays est convaincu que son voisin NE peut PAS lancer un certain type d’attaque car “ça ne s’est jamais vu”, il ne va pas croire que l’acheminement de troupes près de sa frontière constitue une menace réelle, et non de simples manœuvres d’intimidation (cf. l’Ukraine avant le 24 février 2022 ou, différemment, la traversée des Ardennes par les blindés allemands en 1940).
7. Comment lutter ? Plusieurs pistes…
Avoir bien conscience de l’effet Semmelweis et reconnaître que la résistance à de nouvelles informations est une chose naturelle, surtout si elles sont contraires aux normes.
Remettre en question les consensus : ce n’est pas parce que la majorité pense qu’une chose est vraie, qu’elle est vraie.
Participer à des débats constructifs où chacun peut s’exprimer sans crainte du ridicule ou du rejet… ce qui ouvrira de nouvelles perspectives.
Faire l’effort de ré-évaluer objectivement une idée, une méthode, une pratique, sans prendre en compte la tradition ou le fait qu’elle est “populaire”.
Consulter différentes sources spécialisées dans le domaine traité, avant de rejeter ou accepter de nouvelles théories ou données.
Garder son ouverture d’esprit lorsque de nouvelles connaissances remettent en cause ce que l’on a appris précédemment.
Mettre régulièrement à jour ses connaissances. La recherche avance, le monde change…
Croire en sa propre capacité à changer et à s’adapter à la nouveauté.
Encourager la curiosité et l’esprit critique.
La leçon à retenir
“Et pourtant elle tourne !”, aurait dit Galilée après son abjuration.
Pour aller plus loin
Le podcast Docteur Semmelweis | France Culture
Le livre Semmelweis - Louis-Ferdinand Céline
La vidéo 1847, Semmelweis et l’asepsie - Corpus - réseau Canopé
La pièce de théâtre La Vie de Galilée - Bertolt Brecht - L'Arche
Le nouveau géant de l’IA, G42
1. Basé à d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis), G42 est l’un des leaders mondiaux de l'Intelligence Artificielle. Cet acteur discret mais ô combien puissant, est au centre de la rivalité géopolitique majeure opposant les États-Unis et la Chine dans la course au contrôle de l’IA.
2. Avec le soutien de la famille royale d’Abu Dhabi, cette holding dispose de moyens considérables pour développer et financer des applications d’IA dans des domaines stratégiques tels que la santé et l’espace, ainsi que l’implantation de data centers dans le monde entier. G42 a également créé Jais, un LLM (grand modèle de langage) en arabe.
3. Créée en 2018, G42 compte maintenant plus de 22 000 collaborateurs de 85 nationalités différentes, dont bien sûr de très nombreux ingénieurs et experts IA. Cette holding est dirigée par Peng Xiao, né en Chine, formé aux USA en informatique et business, et désormais citoyen des Émirats arabes unis.
4. Depuis sa création en 2018, G42 a essayé de tisser des liens avec plusieurs pays leaders en AI, dont la Chine et les États-Unis. Mais, cette position étant devenue intenable aux yeux des USA pour des raisons de sécurité et de confidentialité, G42 a été sommé de choisir son camp et donc de couper ses liens avec la Chine, et notamment de renoncer aux équipements fournis par Huaweï. C’est le prix à payer pour pouvoir bénéficier de la technologie américaine, nettement plus avancée.
“For better or worse, as a commercial company, we are in a position where we have to make a choice, we cannot work with both sides. We can’t.”
Peng Xiao, Président de G42
5. Ce choix étant effectif, Microsoft n’a pas hésité à investir 1,5 milliard de dollars en échange d’une part (minoritaire) du capital de G42, d’un siège à son conseil d’administration et de l’hébergement des applications de G42 sur Azure, la plateforme de cloud computing de Microsoft. De l’aveu même de Microsoft, ce rapprochement s’est fait en coordination étroite avec les gouvernements des Etats-Unis et des Émirats arabes unis. Un accord “fortement encouragé” par Washington, selon G42.
6. Par ailleurs, G42 a noué des partenariats avec la crème de la crème : OpenAI, Dell, IBM, Nvidia, Oracle, Cerebras pour la conception d’un super-ordinateur… mais aussi AstraZeneca, Illumina (génétique) et Mercedes.
7. L’ambition des Émirats arabes unis est de devenir un hub IA dans un monde multipolaire intégrant la Chine, la Russie et l’Inde. Toutefois, la suprématie technologique des USA (cf. Nvidia) rend ce pivot stratégique quelque peu délicat…
La leçon à retenir
Que les gladiateurs se préparent !
Pour aller plus loin
L’article Nvidia played its way to the domination of AI - Financial Times
L’article Microsoft invests $1.5 billion in UAE’s G42 in pivot from China - AJOT.COM
L’article Abu Dhabi shakes up wealth funds with top royals chairing - Reuters
L’article Lawmakers Push U.S. to Consider Trade Limits With A.I. Giant Tied to China - New York Times