🔴 7 about... les “curiosity conversations”, Inkitt et Clearview AI, la startup qui vend votre visage
Les “curiosity conversations” de Brian Grazer
1. Les curiosity conversations désignent des moments d’échange en face-à-face, dont le but est de s’extraire momentanément de son environnement de travail, d’aborder des sujets totalement différents et de bénéficier ainsi d’une nouvelle perspective, afin d’être au final plus performant.
2. Elles ont été popularisées par Brian Gazer, l’un des producteurs phares d’Hollywood, depuis longtemps associé au réalisateur Ron Howard. Ce duo a engrangé plus de 15 milliards de dollars de recettes avec des succès comme Da Vinci Code ou Apollo 13. Nous sommes donc tout ouïe lorsqu’ils partagent leurs secrets de fabrication.
3. Le principe est simple : les efforts créatifs et la résolution de problèmes, à la différence d’autres types d’effort (analyse, physique…), nécessitent de faire des pauses, puisque tôt ou tard, nous arriverons à un blocage (c’est normal, cela fait partie du processus). A ce stade, mieux vaut ne pas insister. C’est là qu’interviennent les curiosity conversations.
4. Plutôt que de tourner en rond, Brian Gazer va chercher “ailleurs” la solution à son problème, en planifiant une curious conversation autour d’un verre ou d’un repas avec une personne extérieure à son environnement. Sa méthode ne laisse rien au hasard puisqu’avant cette rencontre, il définit sa stratégie de conversation et fait des recherches sur son interlocuteur. Gazer s’impose une seule règle à laquelle il ne déroge sous aucun prétexte : ne pas parler du problème qui le bloque. C’est cette “distraction” qui l’aidera indirectement à le résoudre.
5. Grazer pratique cette discipline depuis plus de 45 ans. A la sortie de l’université, souhaitant avoir une conversation en face-à-face avec le professeur qui l’a le plus inspiré, il lui demande un entretien de 10 minutes. La discussion durera plus de 90 minutes pendant lesquelles, selon ses dires, il aurait plus appris qu’au cours de ses années passées à l’université. Il décide alors d’en faire une démarche systématique : deux fois par mois, il organisera ce type de curious conversation.
6. Souhaitant faire carrière à Hollywood mais n’y connaissant personne, il décide de rencontrer de cette façon les acteurs et réalisateurs qu’il admire le plus, notamment Warren Beatty et Francis Ford Coppola. Il rencontrera ainsi Ron Howard en 1979 avec lequel il entamera une complicité professionnelle de plus de 40 ans. Grazer considère que ce sont ces conversations qui lui ont permis de gravir les plus hauts échelons de la production cinématographique, et jure de les poursuivre tant qu’il sera en état mental de le faire.
7. Les curious conversations de Brian Grazer font écho au principe du retrait tactique, bien connu des psychologues et des spécialistes de l’innovation. Face à un blocage créatif, mieux vaut vous “retirer” du problème et passer à autre chose pour laisser votre inconscient remettre les choses en place tout seul, sans que vous vous en rendiez compte. Cette trêve n’est pas du temps perdu, bien au contraire…
La leçon à tirer
Selon Grazer, obtenir ce type de rendez-vous est bien plus facile qu’on ne l’imagine. Dommage de se limiter…
Pour aller plus loin
Le livre de Brian Grazer : A curious mind, the secret to a bigger life
La vidéo : Brian Grazer explains the Curiosity conversation, Aspen Ideas Festival
How Curiosity Led to $15 Billion at the Box Office, une heure de conversation entre Brian Grazer et Guy Raz
Inkitt, l’édition libre
1. Inkitt est une plate-forme de publication de manuscrits en ligne : toute personne peut y poster gratuitement son roman qui pourra être lu tout aussi gratuitement par les utilisateurs de ce site. Si son livre “fonctionne” bien, l’auteur se verra proposer un contrat d’édition (avec versement de royalties) sur l’application associée – Galatea – payante pour les lecteurs.
2. La particularité d’Inkitt est son système d’évaluation des manuscrits : un algorithme analysant les comportements de lecture de ses lecteurs, ce qui permettrait de détecter les futurs bestsellers. La sélection des romans édités sur Galatea n’est donc pas effectuée par des humains mais par un algorithme !
3. Fondée en 2015 à Berlin, Inkitt a connu une véritable accélération ces dernières années, passant de 1,6 million de lecteurs et 110 000 auteurs en 2019, à 7 millions d’utilisateurs et 300 000 auteurs en 2021. Sur la même période, le chiffre d’affaires de l’application payante Galatea est passée de 6 millions à 38 millions de dollars.
4. Avec 46 bestsellers annoncés, on ne saurait se passer de success stories ! En voici deux remarquables :
Originaire d’Odisha, l’un des États les plus pauvres d’Inde, Seemran Sahoo a gagné à ce jour plus de 2,7 millions de dollars avec son roman “The Arrangement”, entièrement écrit et publié depuis son smartphone.
Sapir Englard, une jeune Israélienne, a déjà reçu plus de 8 millions de dollars de royalties, pour son roman “The Millennium Wolves”.
“The majority of our Galatea writers made more than $100,000 in sales.”
Ali Albazaz, fondateur et CEO d’Inkitt
5. En 2021, Inkitt a fait une levée de fonds de 59 millions de dollars en série B, notamment auprès de Mathias Döpfner, CEO de Axel Springer, Michael Lynton, président de Snap et ancien CEO de la maison d’édition Penguin, pour une valorisation non divulguée mais estimée à 390 millions de dollars environ.
6. L’objectif ultime est de devenir le “Disney du 21ème siècle”. Avec son portfolio d’histoires validées par son algorithme et ses lecteurs, Inkitt pourrait devenir une source inépuisable de films, séries, etc.
7. Cette plate-forme berlinoise accepte désormais les livres en français. A vos plumes !
La leçon à retenir
On se doute que La recherche du temps perdu de Proust, Ulysse de James Joyce et L’homme sans qualités de Robert Musil n’auraient pas fait un carton auprès de l’algorithme d’Inkitt… Certes, on ne les lit pas tous les jours mais quand même ! Toutefois, n’oublions pas que Proust a commencé par se publier à compte d’auteur, selon le même principe qu’Inkitt finalement. L’algorithme en moins !
Pour aller plus loin
Patrick Besson : « Même Proust a publié à compte d’auteur ! »
Cinq conseils pour parvenir à lire « Ulysse » de James Joyce
Comparatif des concurrents : The 17 BEST Self-Publishing Companies of 2021
Clearview AI
1. Clearview AI est une entreprise américaine spécialisée dans la vente de base de données répertoriant des photos de visage, à des organisations policières qui peuvent ainsi utiliser la reconnaissance faciale pour identifier des suspects.
2. La démarche est assez simple, à la fois fascinante et effrayante :
Les clients de Clearview AI soumettent une ou plusieurs photos des personnes qu’ils soupçonnent de faits criminels mais dont ils ignorent l’identité.
Clearview AI compare ces documents avec les milliards de photos qu’il a recensées et détecte les correspondances éventuelles.
Clearview AI transmet ensuite les liens Internet sur lesquels figurent les photos correspondantes.
Clearview AI a récupéré (”scrappé” en langage tech) toutes les photos que nous publions de plein gré sur les réseaux sociaux. De l’aveu même de son fondateur Hoan Ton-That, en mars 2023, Clearview AI possédait plus de 40 milliards de photos, soit en moyenne cinq images par habitant de notre planète. Merci les réseaux sociaux ! Et comme il devient rare de n’avoir pas publié de photos de son visage, des correspondances sont trouvées pour la quasi-totalité des requêtes. Assez simple en réalité mais encore fallait-il y penser… et ne pas s'embarrasser de scrupules.
3. Et c’est peu dire que ce ne sont pas les scrupules qui étouffent Clearview AI ! L’entreprise n’a pas hésité à fournir ses services à des sociétés privées. Toutefois, après avoir été poursuivie en 2020 par des défenseurs des Libertés civiles, l’entreprise ne travaille plus qu’avec des institutions publiques.
4. Côté résultat, et toujours selon Hoan Ton-That, Clearview AI se targue d’un taux de précision de plus de 99 %, ce qui aurait permis de résoudre de nombreux enquêtes, de la fraude fiscale au meurtre. Clearview AI aurait déjà répondu à plus d’un million de requêtes émanant de plus de 2 400 organisations de police aux Etats-Unis mais aussi au Brésil, au Mexique, au Panama et en République Dominicaine. Son système aurait même aidé à identifier des participants aux émeutes du Capitole en janvier 2021.
5. Mais c’est avec la guerre en Ukraine que cette entreprise prend une autre dimension. Clearview AI a récupéré plus de 2 milliards d’images provenant de réseaux sociaux russes comme VKontakte, le Facebook local. De source ukrainienne, environ 230 000 combattants russes auraient déjà été identifiés (nom, ville d’origine, profil sur les réseaux sociaux…). L’Ukraine se sert également de Clearview AI pour détecter les infiltrés, identifier des personnes décédées ou retrouver la trace d’enfants disparus qui pourraient se trouver en Russie.
“C’est encore bien mieux que l’ADN et les empreintes digitales que vous avez pour vos citoyens, puisque vous n’avez pas besoin d’accéder à la base de données de vos ennemis”. Hoan Ton-That
6. Soupçonnés d’accointances avec l’ultra-droite américaine, les dirigeants de Clearview AI jouissent d’une réputation assez sulfureuse. Ils opéraient dans le plus grand secret jusqu'à ce qu’une enquête du New York Times et de sa journaliste Kashmir Hill dévoile leurs pratiques et leur identité en 2020. Clearview AI compte parmi ses investisseurs Peter Thiel, une figure controversée de la Silicon Valley, à la fois admiré pour ses succès à répétition (co-fondateur de PayPal et de Palantir, premier investisseur de Facebook…) et décrié pour ses prises de position libertaires radicales.
7. Alors que Chat GPT et l’Intelligence Artificielle générative monopolisent l’attention médiatique, d’autres pans de l'IA, dont la reconnaissance faciale, progressent à grand pas avec des technologies bien moins coûteuses. Clearview AI démontre qu’Il faut très peu de données pour reconnaître un visage avec précision. Les enjeux sociétaux ne sont pas moindres, à commencer par la protection de l’un de nos biens le plus précieux : notre identité.
La leçon à tirer
Avant de se demander si l’IA va supprimer nos emplois, ne faudrait-il pas commencer par se soucier de ce que deviennent les photos que nous publions sur les réseaux sociaux ?
Pour aller plus loin
Le livre : Your face belongs to us, Kashmir Hill
Le podcast : Clearview AI and the end of privacy, with Kashmir Hill, The Verge
Ukraine’s ‘Secret Weapon’ Against Russia Is a Controversial U.S. Tech Company, Time
Beyoncé's Cardiff gig crowd was scanned for paedophiles, BBC News