La loi d’Illich ou l’art de prendre des pauses
1. La loi d’Illich (ou loi des rendements décroissants) stipule que notre productivité optimale résulte d’un équilibre entre temps de travail et temps de repos. Si cet équilibre n’est pas respecté, notre productivité décroît.
2. Cette loi tient son nom de Ivan Illich, un essayiste d’origine autrichienne travaillant sur les principes de contre-productivité. Il a notamment vulgarisé le principe de “seuil de productivité négative” atteint lorsque nous travaillons sans discontinuer, parfois en quelques heures seulement. Les pauses sont donc essentielles pour demeurer productifs et respecter les objectifs qui nous ont été fixés.
3. Cela semble aller de soi, non ? Pas tant que ça. En réalité, cet équilibre est extrêmement difficile à atteindre car notre gestion du temps n’est pas le fruit d’un choix individuel mais s’établit par mimétisme social. ”Mon temps de travail correspond à la moyenne du temps travaillé par les personnes autour de moi”. Or les organisations ont beaucoup de mal à créer un environnement favorisant l’équilibre optimal “temps de travail - temps de repos”.
4. Les Suédois sont probablement les experts mondiaux de la pause au travail. Ils ont même un nom pour cela : le fika. Dans les entreprises suédoises, le “fika” est un rituel quotidien où tout le monde se lève de son bureau et se retrouve autour d’un café et d’un petit truc sucré. Le terme “fika” provient d’une inversion du mot “kaffé” (le café en Suedois). Le verlan sauce scandinave.
5. Non seulement le fika rend les Suédois plus productifs mais elle permet aussi aux managers de comprendre ce qui se passe vraiment dans leur entreprise. Car, chaque jour, tout le monde se retrouve pendant environ trente minutes, quel que soit son grade, son âge ou sa fonction, pour partager un café et discuter. On oublie la hiérarchie, la bureaucratie, les procédures, et les langues se délient.
6. En Suède, la pause est institutionnalisée au point d’être parfois mentionnée dans les contrats de travail.
7. Les Suédois ont la réputation, à juste titre, de bénéficier d’une culture de travail des plus favorables au bien-être : absence d’heures supplémentaires, semaine de 4 jours, long congé parental… Les exemples ne manquent pas. Par bienveillance et générosité ? Possible. Ou peut-être parce qu’ils ont vraiment lu les travaux d’Ivan Illich…
La leçon à tirer
Ah, le vieux présentéisme français où il est de bon ton de rester au bureau le plus tard possible, si possible après le boss. En Angleterre ou en Allemagne, rester tard signifie en général que vous ne savez pas vous organiser et que vous n’arrivez pas à faire votre travail dans les temps. No comment.
Pour aller plus loin
Fika, four-week holidays – and zero overtime: Sweden’s stunningly healthy work culture, The Guardian
L’enshittification
1. Nous allons commencer par un peu d’étymologie sauvage. Vous l’aurez compris, le néologisme enshittification a été formé à partir de la racine… shit suivi de fication (l’acte de rendre quelque chose tel qu'il est), et pourrait donc se traduire par le risqué (et peu élégant) “emmerdification”. Hum hum… En clair, il s’agit du processus par lequel des plateformes, applications, sites web, etc. se dégradent au fil du temps, privilégiant les profits à court terme au détriment de l'expérience utilisateur. Ca vous rappelle quelque chose ?
2. Le terme a été utilisé en 2022 par Cory Doctorow, écrivain, journaliste et activiste canado-britannique, dans différents articles, notamment pour Wired et le Financial Times, puis s’est répandu jusqu’à devenir le mot de l’année pour l’American Dialect Society puis le Macquarie Dictionary.
3. Le mécanisme est simple et se déroule généralement en trois phases :
Phase d'attraction : La plateforme offre d'excellents services, souvent à perte, pour attirer le plus grand nombre d’utilisateurs.
Phase d'exploitation des utilisateurs : Une fois les utilisateurs “captifs”, elle séduit les entreprises (annonceurs, vendeurs, etc.) en leur offrant l'accès à ces utilisateurs.
Phase d'exploitation totale : Enfin, de sorte à maximiser ses profits, elle exploite les utilisateurs (publicités, options payantes, abonnements, achats dans l'application, etc.) ET les entreprises en leur faisant payer des droits d’accès et des tarifs de plus en plus élevés.
4. Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités. Les plus connus :
Facebook, TikTok, Instagram… contiennent de plus en plus de publicités et ont progressivement modifié leurs algorithmes pour favoriser les contenus sponsorisés.
Spotify ou YouTube coupent leurs programmes avec des publicités ou passent en "freemium". Idem maintenant pour les podcasts : sur certains formats courts, il y a presque plus de temps de pub que de programme.
Les sites de commerce, Amazon notamment, mettent en avant de plus en plus de produits sponsorisés et de publicités, au détriment de ce que nous recherchons vraiment.
5. Résultat ? Nous n’avons qu’une envie : fuir…
l’intrusion permanente de la publicité,
les accès payants ou restreints,
la perte d’authenticité avec la mise en avant de contenus publicitaires et commerciaux, où nous n’arrivons même plus à voir ce que postent nos amis…
Les “partenaires” commerciaux sont tout aussi perdants car leurs coûts augmentent pour que leurs produits soient référencés ou promus.
6. Quelques solutions :
Choisir des alternatives décentralisées ou en open-source tels que Mastodon, Bluesky, Minds, Hive Social pour les réseaux sociaux ou Dtube, PixelFed, Loops pour le partage de contenus.
Avoir la possibilité de changer facilement de plateforme, sans perdre ses abonnés, ses abonnements, etc.
Adopter clairement des services payants en échange d’une qualité garantie… comme avant. La qualité a un prix. Il faut bien rémunérer le travail et le capital (sinon personne ne va plus rien faire)…
“Pay peanuts, get monkeys”.
7. Enfin, Cory Doctorow explique la généralisation actuelle de l’enshittification par la disparition des contraintes portant sur les plateformes :
l’affaiblissement de la concurrence : fusions et concentration dans les secteurs concernés, et ententes entre concurrents
l’absence de sanctions légales réelles
la disparition des petits concurrents pouvant disrupter le marché
le retournement du marché de l’emploi : les spécialistes de la tech qui ne sont plus en position de force, n’ont d’autre choix que d’appliquer les directives, même si cela veut dire massacrer le produit pour lequel ils ont bossé jour et nuit.
La leçon à retenir
On se demande à quelle étape en est X... Il va falloir imaginer un nouveau terme !
Pour aller plus loin
L’article originel Cory Doctorow: No One Is the Enshittifier of Their Own Story
L’excellent (mais long !) article de Cory Doctorow : The ‘Enshittification’ of TikTok | WIRED