🔴 La nomophobie et la guerre des mèmes
Libérez nos cerveaux ! Vous avez des sueurs froides à la seule pensée d'oublier votre téléphone ? Vous adorez les mèmes dont on vous bombarde ? Et si on décrochait ?
La nomophobie
1. La nomophobie (contraction de NO MObile PHOne PhoBIA) est la peur de ne plus être “connecté” via son téléphone, qu’on l’ait perdu, oublié ou cassé, que la batterie soit vide ou qu’il n’y ait pas de réseau. Il s’agit moins d’une phobie que d’une forme d’anxiété.
2. Ce concept est apparu en 2008, suite à une étude menée par la UK Post Office, qui révélait que 53 % des personnes interrogées souffraient d’une peur irrationnelle et durable à l’idée de ne plus pouvoir utiliser leur téléphone mobile. Le terme lui-même est entré dans le Petit Robert en 2017.
3. Les symptômes de la nomophobie ressemblent à ceux des autres phobies : angoisse, panique, sueurs, tremblements, difficulté à respirer… Toutefois, cette phobie n'est pas (pour le moment ?) répertoriée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V).
4. Selon une étude datant de 2021 (méta-analyse portant sur 12 462 participants dans dix pays), environ 21 % de la population adulte souffriraient de nomophobie sévère et 71 % de nomophobie modérée. Les étudiants seraient les plus touchés (25 %).
5. Comment savoir si on est atteint ? Deux chercheurs de l’Université de l’Iowa, Caglar Yildirim et Ana-Paula Correia, ont développé un test simple pour évaluer notre degré de nomophobie, couvrant quatre facteurs : la peur de ne pas pouvoir communiquer, se connecter, accéder à l’information ou utiliser des services. Cette analyse peut nous aider à prendre conscience de nos habitudes et à gérer nos appréhensions.
6. Comment lutter ? C’est plus que difficile, étant donné l’omniprésence de nos téléphones dans nos vies. Peut-être en réduisant, voire supprimant, notre usage de certaines fonctions pas toujours “vitales” et en imaginant des solutions de remplacement dans la “vraie vie” ? Savoir se déplacer avec un plan papier (quoi !), avoir une montre, etc. L’enjeu est important car la nomophobie n'induit pas seulement une détresse émotionnelle immédiate mais peut également avoir des effets psychologiques à long terme nuisant à notre bien-être général.
7. Un smartphone, c’est aujourd’hui l’accès aux services de sécurité (pompiers, police, samu…), le lien avec nos proches et notre cercle social, les journaux, les news, la télévision, le cinéma, la radio, la musique, les livres, une montre, un réveil, un agenda, un carnet de notes, un appareil photo, des cartes géographiques, un service météo, une calculatrice, notre carte bleue, notre guichet bancaire et j’en passe…. toutes choses essentielles, disponibles auparavant sous la forme d’objets ou de services physiques séparés, aujourd’hui toutes regroupées en un seul et unique objet. Pas étonnant donc que nous soyons quelque peu anxieux si nous n’y avons plus accès… que ce soit dans la “vraie” vie ou via un smartphone.
La leçon à retenir
Ça me donne envie d’acheter un deuxième téléphone portable juste au cas où… Je plaisante (quoique…). Après réflexion, c’est cette concentration extrême des fonctions en un seul objet qui devrait nous interroger, plutôt que de savoir si nous souffrons d’une angoisse finalement assez légitime, car est-ce bien raisonnable que nos sociétés mettent toute leur organisation entre les mains de quelques puissants fabricants de puces et de téléphones ?
Pour aller plus loin
L’article NOMOPHOBIA: NO MObile PHone PhoBIA : Journal of Family Medicine and Primary Care
La référence DSM-5-TR Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, texte révisé | Livre | 9782294781353
L’étude épidémiologique The cross-national epidemiology of specific phobia in the World Mental Health Surveys - PMC
La guerre des mèmes
1. La guerre des mèmes consiste à diffuser à grande échelle des contenus sous forme d’images animées ou de visuels accompagnés de texte, à des fins d’influence et de propagande. Un ton humoristique, un format en apparence bien inoffensif mais, avec le soutien d’une communauté active, ces mèmes - et leurs messages - peuvent se propager aussi vite qu'un virus et se transformer en une puissante arme de guerre psychologique.
2. Ce terme a été créé par le biologiste britannique Richard Dawkins, spécialiste des théories de l’évolution, connu notamment pour son best seller Le Gène égoïste (The Selfish Gene). Selon Dawkins, l’informatique constitue “le milieu parfait pour que des programmes auto réplicateurs s’épanouissent et se répandent”, permettant aux mèmes de se transmettre de manière organique dans l’esprit des individus.
3. Ce pouvoir de diffusion rapide et “naturel” ne pouvait échapper aux professionnels du marketing. L’usage des mèmes génère des taux d’engagement (clic, like, partage…) très largement supérieurs aux formats publicitaires traditionnels, d’autant plus que ce format est particulièrement populaire auprès des jeunes générations. Ainsi, 55 % des 13-35 ans partageraient des mèmes chaque semaine (source : Ypulse). Quelques exemples :
la campagne publicitaire du film Barbie (1,5 milliards de recettes dans le monde)
Burger King, un grand habitué des campagnes de mèmes, ce qui lui vaut le surnom de “Burger meme”
4. Des mèmes à la guerre mémétique… On pouvait s’en douter, l’efficacité des mèmes n’a pas non plus échappé aux militaires, comme le prouve leur utilisation par l’armée américaine dès 2006. Objectif : se servir de la viralité pour élargir le champ de bataille aux esprits des ennemis ou des “neutres”. Cette stratégie d’influence sera reprise dans les années 2010 aussi bien par les propagandistes russes que par ceux de l’Etat islamique.
5. Cette guerre s’est depuis étendue au domaine politique :
Un “bureau de la guerre mémétique” apparaît en 2015 sur le forum de discussion extrémiste 8chan avec le mantra : “celui qui contrôle les mèmes contrôle le monde ». Au moins, c’est clair !
Un centre de création de mèmes a été intégré en 2016 à la première campagne présidentielle de Trump.
La guerre mémétique politique a fait une victime collatérale : Pepe The Frog, une grenouille de bande dessinée bien inoffensive - utilisée sans cesse par les réseaux d’extrême droite - que son créateur Matt Furie a par conséquent préféré tuer… symboliquement bien sûr.
6. La guerre des mèmes est d’autant plus efficace qu’elle passe bien souvent sous le radar des modérateurs des plateformes en ligne. L’usage d’un ton humoristique ou sarcastique permet de déjouer leurs mesures d’interdiction. Difficile de censurer l’humour, non ?
7. La guerre ne se joue pas que sur le champ de bataille… mais aussi à l’intérieur de nos consciences, à coup d’armes en apparence aussi anodines que des extraits des Simpson ou de Star wars.
La leçon à tirer
On ne sait jamais quelle force du mal peut se cacher derrière Barbie…
Pour aller plus loin
La guerre de l’information : Les États à la conquête de nos cerveaux - David Colon
LikeWar - Emerson T. Brooking
Giphy - la bibliothèque de mèmes
Le créateur de Pepe The Frog tue sa grenouille, contaminée par l’extrême droite - Le Monde
It’s time to embrace memetic warfare - Jeff Giesea - OTAN