🔴 La triade sombre et les robots tueurs
En direct de Londres, numéro spécial Halloween et… élections américaines ! La peur de la peur faisant encore plus peur, explorons les profondeurs de ces forêts obscures et débusquons nos monstres !
La triade sombre
1. La triade sombre (dark triad) désigne le regroupement de trois traits de personnalité, particulièrement “délectables” : le narcissisme, le machiavélisme et la psychopathie. Miam !
2. Le concept de triade sombre, théorisé par le psychologue canadien Delroy L. Paulhus dès 2002, connaît actuellement un regain d’attention en raison de son impact sur l’usage des réseaux sociaux, pouvant entraîner la déstabilisation à grande échelle de nos sociétés. Pas une mince affaire donc…
3. Mais commençons par quelques définitions :
Le narcissisme est marqué par un égoïsme accru, un sentiment de supériorité, voire une mégalomanie exagérée, et un manque d’empathie.
Le machiavélisme, tirant son nom de Machiavel, le fameux conseiller des princes florentins du XVIème siècle, concerne des personnalités cyniques, calculatrices et manipulatrices.
La psychopathie marque des personnes insensibles, souvent impulsives, qui n’hésitent pas à exploiter ouvertement les autres.
(Toute ressemblance avec une personne ayant une peau et des cheveux oranges serait purement fortuite.)
4. Ces trois traits sont présents dans les personnalités aversives. Dépourvues d’éthique, elles utilisent sans scrupules ces traits “sombres” dans leur propre intérêt. Leur impulsivité les rend particulièrement réceptives aux croyances complotistes et enclines à les relayer. Leur narcissisme les pousse de plus à un usage intense des réseaux sociaux et à la recherche de “likes”. Version moderne de l’arroseur arrosé, ces personnes peuvent facilement être manipulées… pour qu’elles manipulent les autres.
5. Ces personnalités sont facilement repérables sur Internet et les réseaux sociaux : il suffit de quelques likes indiquant un intérêt marqué pour les armes à feu, le paranormal, la drogue ou la magie noire. Deux chercheurs américains ont d’ailleurs conçu un test de personnalité permettant de mieux les détecter (la “dirty dozen dark triad”). Aleksandr Kogan, l’un des acteurs du scandale Cambridge Analytica, a créé sur cette base l’application “This is your digital life” qui lui a permis de collecter sans autorisation les données de plus de 87 millions de profils Facebook, dans l’objectif d’influencer les électeurs (référendum du Brexit notamment).
6. Le ciblage de ces personnalités nourrit une nouvelle forme d’extrémisme. Il ne s’agit plus de promouvoir une idéologie partisane mais d'utiliser ces personnes pour semer le chaos à l’intérieur d’un régime. Symbole de la mobilisation à grande échelle de la triade sombre : le mouvement QAnon qui diffuse toutes sortes de théories complotistes, plus étranges les unes que les autres, liant élites et activités criminelles occultes. Selon un sondage NPR/Ipsos réalisé en décembre 2020, 17 % des Américains croyaient aux thèses de Qanon.
7. Face à la triade sombre, finissons par une note d’espoir ! La triade lumineuse (ou light triad) se pose en antidote puisqu’elle regroupe des traits de caractère nettement plus sympathiques : l’empathie, la compassion et l’altruisme.
La leçon à tirer
Que la triade lumineuse soit avec toi !
Pour aller plus loin
Le test de personnalité de la triade sombre - Open-Source Psychometrics Project
The interplay of the Dark Triad and social media use motives to social media disorder - Science Direct
L’impact des traits de personnalité aversifs sur le spectre des troubles psychotiques - Science Direct
Le livre Les ingénieurs du complot - Giuliano da Empoli
Le Corbeau, l’ombre et la lumière - Henri-Georges Clouzot.
The Shining, “All play and no work” - Stanley Kubrick
Vidéo : les clairs-obscurs du Caravage - Jean Mineraud
Les robots tueurs
1. Commençons par une définition. Les robots tueurs sont plus poliment appelés “systèmes d'armes létales autonomes” (SALA) ou en anglais “lethal autonomous weapons” (LAWS). Pour faire simple, il s’agit d’armes pouvant tuer sans intervention humaine directe.
2. Ces armes ne prennent pas forcément la forme de robots comme on le voit dans les films, loin de là, et ne se limitent pas à notre bonne vieille terre. Elles peuvent aussi opérer dans les airs, sur et sous la mer, dans l’espace… Nous les connaissons déjà plus ou moins : drones kamikazes, drones armés, missiles dotés d’ailes, sous-marins rôdeurs, avions de chasse sans pilote, chars robots, etc. sans oublier ces robots chiens qui nous font frissonner d’effroi.
3. On a l’impression que ce phénomène est nouveau mais pas tant que ça finalement. On peut déjà parler d’armes autonomes lorsqu’on pense aux mines navales ou anti-personnelles puisqu’elles se déclenchent sans intervention humaine directe. Idem pour certains systèmes de défense antimissile balistique (BMD) du type “dôme de fer”.
4. Le principal argument en faveur des armes autonomes est paradoxalement de préserver des vies puisque ces systèmes peuvent :
remplacer les êtres humains dans des missions particulièrement dangereuses : radiations, explosions, etc. ;
réagir plus vite, notamment en défense (détection du danger par capteurs et réaction automatique) ;
opérer dans des lieux inaccessibles aux humains ou des environnements hostiles ;
agir de façon plus “rationnelle” que les êtres humains : pas de fatigue physique, mentale ou émotionnelle, pas d’instinct de conservation, pas de peur panique, pas de coup de folie, pas de préjugés, pas de désir de vengeance… et moins de “je tire d’abord, je réfléchis après”.
5. Mais les arguments contre les armes autonomes sont bien sûr ceux auxquels on pense en premier :
La course aux armements pourrait ne plus avoir de limites, rendant la situation du monde encore plus dangereuse qu’elle ne l'est actuellement.
La guerre n’ayant plus de conséquences sur sa propre population (soldats morts au combat), un pays pourrait ne plus hésiter à déclarer la guerre.
Comment assurer que les robots auront assez de discernement pour ne pas tuer à tort et à travers, les fameux dommages collatéraux ? (Comme si les humains ne provoquaient pas de dommages collatéraux, volontairement ou involontairement…).
Les robots pourraient-ils échapper au contrôle humain ?
Qui pourra être tenu responsable si un robot tuait des civils ?
6. Est-il donc possible d’interdire ou de réguler ces armes autonomes ? Ça devrait être envisageable puisque des traités ont déjà été conclus pour interdire d’autres types d’armes, même s’il faut bien avouer qu’ils sont diversement respectés.
La Convention sur l’interdiction des mines (Ottawa) - 1977
La Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC) - 1997
La Convention sur l'interdiction des armes biologiques (CABT) - 1975
Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) - 1970
Dans son New Agenda for Peace 2023, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, en demande l’interdiction pure et simple.
7. Et voici qu’entre l’éléphant dans la pièce : l’Intelligence artificielle - en particulier le machine learning - qui permettra aux armes autonomes de se former et de se programmer “toutes seules”. On le sait, les systèmes d'apprentissage automatique ne sont pas exempts de biais en termes de discrimination sur la “race”, le sexe ou le genre. Le fonctionnement de ces armes pourrait rapidement devenir opaque, voire inaccessible, aux êtres humains. Sans parler des possibilités de manipulation…
La leçon à retenir
Maîtriser la technologie n’est plus seulement un enjeu économique ou culturel mais bien un enjeu existentiel. Ce serait peut-être le moment de bichonner nos “cerveaux”, de favoriser leurs recherches et de les aider à créer des entreprises…
Pour aller plus loin
Le rapport Unmanned Systems Roadmap 2007-2032
Questions-réponses – Ce qu’il faut savoir sur les armes autonomes | CICR