L’art de décider par Jeff Bezos
1. Selon ses propres dires, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, devrait son succès à sa capacité à décider vite et bien. Faut-il vraiment rappeler le parcours de cet ultra-milliardaire ? En 1994, alors que l’Internet grand public balbutiait à peine, il fonde une librairie en ligne depuis son garage (ah, la fameuse légende du garage…). Contre toute attente, le succès est colossal. Devenu l’un des hommes les plus riches de la planète, Jeff Bezos s’attaque par la suite à l’espace (fusées spatiales Blue Origin et projet Kuiper), non sans avoir fait quelques emplettes auparavant (Whole Foods, Washington Post…). Donc, quand cet obsédé de la prise de décision a la bonté de nous prodiguer quelques conseils, on ouvre grand les oreilles, non ?
2. Pour Jeff Bezos, il faut distinguer deux types de décision :
Type 1 : les décisions ayant des conséquences irréversibles.
Type 2 : les décisions ayant des conséquences réversibles, au risque limité.
Pour les décisions de type 1, il est indispensable de prendre le temps de recueillir un maximum d’informations, de bien réfléchir et de consulter d’autres personnes. La prise de risque doit être limitée. Soit. Processus classique.
3. En revanche, pour les décisions de type 2 (effets réversibles), soit 80 % des décisions, la rapidité prime car prendre du retard pourrait coûter beaucoup plus cher que de commettre une erreur. Quelques conseils pour réussir ces DGV (décisions à grande vitesse) :
Déléguer la décision à une seule personne : non seulement ça ira plus vite mais on pourra en prime juger de sa capacité à prendre des décisions.
Se concentrer sur l’intérêt des clients car, avec cet état d’esprit, la décision s’impose d’elle-même.
4. Mais, surtout, surtout… il faut être capable de décider même si l’on ne dispose pas de toutes les informations que l’on jugerait nécessaires. Selon Jeff Bezos, 70 % des informations suffisent pour être en mesure de prendre une décision. Au-delà, l’équilibre entre agilité et sécurité est rompu : recueillir davantage d’informations prend beaucoup de temps sans procurer de véritables avantages.
5. Le principe “disagree and commit” permet aussi de prendre des décisions plus efficacement. Le deal est simple : vous pouvez exprimer vos désaccords en amont, mais une fois la décision arrêtée, même si vous n’êtes pas d’accord, vous vous engagez à l’appliquer sans rechigner… Pas de consensus “mou” à tout prix.
6. Autre concept utilisé par Jeff Bezos : les entreprises Day 1 et Day 2. Les “Day 1” se considèrent comme d’éternels “petits nouveaux” qui en sont encore et toujours au stade du lancement et donc de l’innovation. Pour elles, la plupart des décisions sont de type 2 : on peut (doit ?) les prendre rapidement car les conséquences sont réversibles. L’agilité prime. Pour les “Day 2”, plus installées, toutes les décisions sont de type 1. Elles deviennent trop lentes pour répondre aux attentes de leurs clients et des marchés. Dommage.
7. Loin, très loin des principes de Jeff Bezos… se trouvent les machines qui décident à notre place ou presque, à grands coups de logiciels, de systèmes automatisés et d’analyses de données. Le marché du “decision management” est en pleine effervescence aux Etats-Unis où il représentait près de 4,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022 et devrait atteindre 15,5 milliards de dollars en 2030 (source : Fortune Business Insights). Tendance qui, à n’en pas douter, devrait encore s’accélérer avec l’IA…
La leçon à tirer
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Pour aller plus loin
Handling imperfect information in multiple criteria decision-making through a comprehensive interval outranking approach, Science Direct
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Jeff Bezos dans le texte : le florilège de ses écrits, Invent and wander
How to Resist Amazon and Why - Danny Caine
Le Global Priorities Institute
1. Pour une fois, un peu d’optimisme avec ce qu’on pourrait appeler l’Institut du bien commun - oui, rien que ça - une organisation qui réunit des cerveaux bien faits et bien pleins : le Global Priorities Institute. Son objectif ? Fournir les données et réflexions nécessaires pour prendre les meilleures décisions possibles.
‘What should we do with a given amount of limited resources if our aim is to do the most good?’
2. Le Global Priorities Institute est un centre de recherche interdisciplinaire lié à l’Université d’Oxford. Il permet à des chercheurs d’universités britanniques, américaines, françaises, allemandes… de croiser leurs savoirs dans des domaines tels que la psychologie, l’économie et la philosophie.
3. La mission que se fixe cet institut du “ici et maintenant” est d’identifier et d’analyser les actions qui pourraient s’avérer les plus efficaces pour résoudre les grands problèmes de notre temps. Un mélange d’ambition démesurée et d’humilité toute scientifique…
4. Les sujets traités sont passionnants (même si ces “papiers” ne se lisent pas comme le bestseller de l’été…), allant du rôle de la psychologie dans la prévention des risques, à des réflexions éthiques sur l’IA, en passant par l’effet du déclin démographique sur la croissance économique. Quelques exemples au hasard…
5. Premier exemple : comment gérer de manière moralement acceptable deux problèmes contradictoires que pourrait poser le développement de l’IA…
comment éviter de créer des systèmes d’IA qui ne respecteraient pas les valeurs de l’Humanité
comment traiter de manière éthique et morale des systèmes d’IA qui auraient un fonctionnement similaire à celui du cerveau humain (whole-brain emulations - WBE)
Je vous laisse trouver la réponse…
6. Deuxième exemple très différent, lié à la gestion du risque dans nos sociétés : les experts qui pourraient nous prévenir de certains dangers - crises financières, épidémies, catastrophes - préfèrent parfois se taire, surtout si les éléments sur lesquels ils fondent leur avis ne sont pas objectifs ni quantifiables. En effet, ils peuvent redouter d’être discrédités si le risque annoncé ne se matérialise pas, comme ces enfants qui, sans raison, crient “au loup”. Dommage pour nous si…
7. D’autres organisations essaient aussi de (nous faire) réfléchir. Quelques exemples : 80000hours avec What are the most pressing world problems?, l’Unesco avec Ethics of Artificial Intelligence, le Foresight Institute, etc. Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à nous en faire profiter en ajoutant un commentaire !
La leçon à retenir
Peut-être que ça pourrait servir à Jeff Bezos pour ses décisions de type 1, celles dont les conséquences sont irrémédiables…