đŽ Le boketto japonais et la libertĂ© cognitive
Pour commencer 2025 (au fait, bonne annĂ©e !), deux articles sur la libertĂ© de penser et de ne PAS penser... Profitez bien de ce moment de calme (mĂ©sestimĂ©) aprĂšs la frĂ©nĂ©sie des FĂȘtes !
Le boketto japonaisÂ
1. Le boketto (ăŒăăŁăš) est un terme japonais qui dĂ©crit cet Ă©tat que nous avons tous connu, lorsque nous nous perdons Ă contempler le vide sans le voir, Ă regarder au loin sans penser Ă rien... Et oui, les Japonais ont un mot pour ça, pas nous, ce qui nâa rien dâĂ©tonnant.Â
2. Car le boketto est une expression de la culture japonaise qui valorise la connexion avec lâenvironnement, la nature, le temps, comme le montre le calendrier traditionnel des 72 saisons. Ainsi, nous serions maintenant dans la pĂ©riode du ShĂŽkan (Petit froid) oĂč le persil fleurit, les sources se dĂ©gĂšlent et les faisans se remettent Ă chanter. ForcĂ©ment, ça change de notre calendrier Revente des cadeaux de NoĂ«l, Ventes privĂ©es et Soldes.
3. Le boketto - qui ne demande aucune prĂ©paration, formation ou mĂȘme appli - peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une forme de mĂ©ditation passive et spontanĂ©e oĂč nous nous dĂ©tachons de nos prĂ©occupations immĂ©diates.Â
4. Cette contemplation passive pourrait stimuler l'hémisphÚre droit de notre cerveau, qui est systématiquement activé pendant les tùches nécessitant une pensée créative.
5. Ces moments oĂč lâon ne fait rien, oĂč notre esprit vagabonde librement, stimulent notre capacitĂ© Ă crĂ©er, Ă trouver des solutions et Ă prendre des dĂ©cisions (les bonnesâŠ).Â
6. Le boketto s'apparente Ă la phase d'incubation du processus crĂ©atif, oĂč cesser de penser activement Ă un problĂšme permet Ă notre inconscient de faire des associations d'idĂ©es originales et dâimaginer des solutions innovantes.
7. Nous avons trop tendance Ă confondre ne rien faire et ne pas ĂȘtre productifâŠ
Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu'on laisse du temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes, et l'échelle de l'Histoire n'est pas celle des gazettes.
Cervantes
Le leçon à retenir
Câest sĂ»r quâen ce moment il vaut mieux ne pas trop penser. Ni Ă Trump. Ni Ă Musk. Ni Ă Poutine. Ni à ⊠Pfff, la liste est trop longue ! Dâautant que notre libertĂ© cognitive est plus menacĂ©e que jamais. Je vous laisse lire lâarticle suivant⊠Qui a parlĂ© de dystopie ?
Pour aller plus loinÂ
Les 72 micro-saisons du Japon | Nippon.com
La liberté cognitive
1. La libertĂ© cognitive dĂ©signe notre capacitĂ© Ă garder la maĂźtrise de nos expĂ©riences mentales et cĂ©rĂ©brales, et Ă protĂ©ger notre intimitĂ© mentale et notre libertĂ© de penser. Faut-il sâinquiĂ©ter pour notre libertĂ© cognitive ? Au vu des progrĂšs fulgurants des neurotechnologies, la rĂ©ponse est oui, sans hĂ©sitation !
2. Les neurotechnologies progressent dans deux domaines :
Les appareils qui peuvent enregistrer lâactivitĂ© Ă©lectrique de notre cerveau ( neurotech devices) : une nouvelle gĂ©nĂ©ration de casques, dâĂ©couteurs, de montres connectĂ©es, voire dâimplants, sont capables dâenregistrer lâactivitĂ© Ă©lectrique, mĂȘme minime, de nos cerveaux.Â
Les algorithmes qui peuvent dĂ©sormais analyser ces donnĂ©es cĂ©rĂ©brales âbrutesâ et interprĂ©ter ce que nous ressentons, imaginons ou pensons.
RĂ©sultat : une fois nos cerveaux connectĂ©s Ă un neurotech device, le contenu de nos pensĂ©es devient âtransparentâ.
3. Certes, les expĂ©riences sont encore sommaires mais les progrĂšs sont trĂšs rapides, dâautant plus que ce marchĂ© est estimĂ© Ă 21 milliards de dollars pour 2026 avec une croissance annuelle de 12 % (source : Harvard Business Review) ce qui aiguise les appĂ©titsâŠ
Quelques acteurs dĂ©jĂ dans les starting blocks :Â
Les spĂ©cialistes de la neurotechnologie : Synchron, Precision Neurosciences ou Blackrock Neurotech et⊠lâincontournable Elon Musk avec The Link, son implant cĂ©rĂ©bral.Â
Les acteurs traditionnels de la Big Tech :Â
Apple et son casque Vision Pro, disponible depuis fĂ©vrier 2024, capable de capter nos mouvements oculaires et musculaires, et dâen dĂ©duire nos intentions.Â
Meta, maison mĂšre de Facebook, avec le rachat en 2019 de CTRL-labs, lâun des leaders de la neurotechnologie.
In some ways, the holy grail of all this is a neural interface.
Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook
4. De la transparence de la pensĂ©e Ă la surveillance cognitive, il nây a quâun pas. Soshana Zuboff, professeure Ă la Harvard Business School, avait dĂ©jĂ dĂ©taillĂ© le principe du capitalisme de surveillance dans son ouvrage LâĂge du capitalisme de surveillance : la donnĂ©e issue de lâobservation de nos comportements et de nos rĂ©actions, devient un âactif de surveillanceâ dâautant plus stratĂ©gique quâil permet de connaĂźtre, prĂ©dire, voire modifier nos actions. Le risque est que cette surveillance soit Ă©tendue Ă nos cerveaux eux-mĂȘmes, afin de connaĂźtre, contrĂŽler et influencer nos pensĂ©es sans mĂȘme que nous les ayons jamais exprimĂ©es. Cette surveillance cognitive pourrait enclencher une spirale du silence de la pensĂ©e, nous poussant au conformisme, Ă lâauto-censure et Ă lâacceptation de rĂ©gimes autoritaires.
5. Le plus surprenant ? Il nâexiste aujourdâhui aucun contrĂŽle rĂ©glementaire ni aucune loi protĂ©geant notre libertĂ© cognitive. Comment rĂ©glementer des donnĂ©es dont nous ignorions jusquâĂ prĂ©sent lâexistence ? Comment protĂ©ger des cerveaux que nous pensions indĂ©chiffrables ? Or notre âvie privĂ©eâ cĂ©rĂ©brale semble ĂȘtre de moins en moins privĂ©eâŠÂ
6. Nous pourrions nous rassurer en nous disant que nous allons rĂ©sister et refuser de connecter nos cerveaux. Ce nâest pas si simple que ça... Au moins trois promesses pourraient nous inciter Ă accepter de connecter volontairement nos cerveaux :
La promesse dâune meilleure santĂ©. DĂ©tecter plus rapidement des maladies comme Alzheimer, la schizophrĂ©nie ou la sĂ©nilitĂ©, ou Ă©viter les accidents du travail dus Ă la fatigue ou au stress.
La promesse de services gratuits en Ă©change dâinformations cognitives. Sur les rĂ©seaux sociaux, les moteurs de recherche, etc. nous sommes dĂ©jĂ nombreux Ă accepter de donner des informations personnelles afin de pouvoir bĂ©nĂ©ficier de services gratuits. Pourquoi les donnĂ©es cognitives Ă©chapperaient-elles Ă ce genre de âdealâ ?
Lâaugmentation des performances cĂ©rĂ©brales. DiffĂ©rentes Ă©tudes ont montrĂ© quâen Europe comme aux Etats-Unis, environ 20 % des personnes interrogĂ©es avaient dĂ©jĂ eu recours Ă des substances permettant de âdoper leur cerveauâ. Comment rĂ©sister si on nous promet dâĂȘtre plus âperformantâ ?Â
7. Sous la pire des dictatures, dans l'oppression de certains foyers, la derniĂšre chose qui nous appartenait en propre Ă©tait notre libertĂ© de pensĂ©e. MĂȘme si nous nâavions pas le droit de nous exprimer ou dâagir librement, nous avions toujours la possibilitĂ© de penser ce que nous voulions, derriĂšre la protection de notre boĂźte crĂąnienne. Cette libertĂ© ultime est aujourdâhui remise en question par les progrĂšs de la technologie. Comment avons-nous pu en arriver lĂ ?Â
La leçon Ă tirerÂ
La guerre des cerveaux a déjà commencé.
Pour aller plus loin
L'excellente sĂ©rie Years and Years oĂč lâon parle dâun implant⊠Chuuut, pas de spoil !Â
LâĂ©mission radio Entretien avec Shoshana Zuboff : les mutations du capitalisme de surveillance Ă l'Ăšre de l'IA | France Culture
Le livre LâĂge du capitalisme de surveillance - Zulma de Soshana Zuboff
Lâarticle 'Cognitive Liberty' Is the Human Right We Need to Talk About | TIME
Lâarticle Humanityâs Cognitive Liberty Is at Risk: We Need to Recognize It and Respond (relayĂ© sur X, belle ironieâŠ)
LâĂ©tude The Use and Impact of Cognitive Enhancers among University Students: A Systematic Review
LâĂ©tude Use of âSmart Drugsâ on the Rise