🔴 Le modèle d'argumentation de Toulmin et la géopolarctique
Aujourd'hui... comment construire une argumentation rationnelle (si, si, ça existe encore), ce qui pourrait être bien utile pour éviter les conflits qui pointent en Arctique. On peut toujours rêver !
Le modèle d'argumentation de Toulmin
1. Le modèle de Toulmin est une méthode permettant d’analyser et de construire une argumentation de manière systématique et rigoureuse. Il est utilisé dans de très nombreux domaines dont le droit et les sciences sociales.
2. Ce modèle a été élaboré par Stephen Toulmin, philosophe britannique, auteur et enseignant (1922 - 2009) dans son livre Les usages de l’argumentation (The Uses of Argument ), publié en 1958.
3. Selon Stephen Toulmin, une bonne argumentation repose sur les six éléments suivants :
La thèse (claim) : Le point que cette argumentation essaie de démontrer.
Les faits (data) : Les données, faits, preuves… venant soutenir la thèse.
Les garanties (warrant) : Les raisons pour lesquelles les faits (data) avancés soutiennent la thèse défendue.
Les supports (backing) : Les arguments de fond qui prouvent que les garanties sont exactes.
Les modalisateurs (qualifiers) : Les expressions (“toujours”, “probablement”, “nécessairement”, “dans la plupart des cas”…) qui nuancent un argument et précisent dans quelle mesure la thèse est valide.
Les réfutations (rebuttals) : Les contre-arguments ou exceptions qui montrent qu’un argument n'est pas absolu et qu'il peut y avoir des circonstances où il ne s'applique pas.
4. Ces six éléments - les trois premiers étant indispensables, les trois derniers, optionnels - nous permettent non seulement de construire notre propre argumentation mais aussi d’analyser l’argumentation qui nous est opposée.
5. Si vous êtes intéressé par une version plus détaillée, voici la structure proposée par notre Sciences Po national. Sinon, comme dans les jeux de notre enfance, retrouvons-nous au point 6 :
I. Introduction du problème et du sujet.
A. Éléments qui attirent l’attention du lecteur (captation de bienveillance) B. Introduction du problème ou du sujet
C. Introduction de notre thèse, peut-être avec des modalisateurs qui limitent l’étendue de l’argument. (NB : Cela vous aidera à limiter le sujet à une dimension gérable.)
II. Offrir des faits (raisons, preuves) pour renforcer l’argument. A. Fait 1
B. Fait 2
C. (et ainsi de suite)
III. Explorer les garanties qui démontrent comment les faits sont liés logiquement à la thèse.
A. Garantie 1
B. Garantie 2
C. (et ainsi de suite)
IV. Offrir des supports factuels pour montrer que la logique utilisée dans les garanties est exacte sur les plans théoriques et de réalisme.
A. Support pour la garantie 1 B. Supports pour la garantie 2 C. (et ainsi de suite)
V. Discuter des contre-arguments and fournir leur réfutation A. Contre-argument 1
B. Réfutation de l’argument 1 C. Contre-argument 2
D. Réfutation de l’argument 2 E. (et ainsi de suite)
VI. Conclusion
Implications de l’argument, résumé des thèses, ou considération finale pour faire en sorte que le lecteur se souvienne de la thèse.
6. Ce modèle vise à se rapprocher de la vérité ou tout au moins d’une argumentation réaliste, avec ses forces et ses faiblesses, ainsi que ses limitations (champ de validité).
7. En intégrant d’emblée des contre-arguments (réfutations), le modèle de Toulmin favorise un dialogue constructif, et non un simple affrontement.
La leçon à retenir
On rêve de ce genre d'honnêteté, de rigueur et de rationalité en cette période où les discours les plus dingues, partiaux, faux, délirants… font autorité.
Pour aller plus loin
Le tuto The Toulmin Model of Argumentation (en anglais)
Autre tuto, un peu plus léger 106. The Toulmin Method of Argumentation | THUNK (en anglais)
L’article parfait si vous avez envie de beaucoup (beaucoup !) de jargon : Pertinence de l’utilisation du modèle de Toulmin dans l’analyse de corpus
La géopolarctique
1. Bien sûr, il y a l’Ukraine, Gaza et le Cachemire mais il y a aussi l'Arctique, point de tension géopolitique certes moins médiatisé mais ô combien stratégique. Focus donc sur la “géopolarctique”, l’étude des enjeux stratégiques, politiques et économiques liés à cette région s’étendant sur 5,4 millions de km2 (près de neuf fois la France) pour environ 4 millions d’habitants. Huit pays se la partagent… Le début des ennuis.
2. L'Arctique a longtemps été une zone inhabitable et non navigable. Le premier franchissement du passage du Nord-Ouest (de l’Océan atlantique à l’Océan pacifique par bateau) ne fut réalisé qu’en 1905. Toutefois, le changement climatique et la fonte des glaces ont radicalement changé la donne. Le GIEC estime que la région polaire s’est réchauffée de 1,9° ces trente dernières années, soit un réchauffement près de 4 fois plus rapide que le reste du globe. Résultat : moins de neige, plus de toundra. La région devient moins inhabitable et l’Océan Arctique est désormais navigable près de 90 jours par an.
3. De nouvelles voies maritimes s’ouvrent… Pour la première fois en 2014, un cargo a pu traverser le passage du Nord-Ouest sans être équipé de brise-glace. Il s’agissait du Nunavik, cargo transportant du nickel, du Québec au nord de la Chine, gagnant ainsi 40 % de temps par rapport à un passage via le Canal de Panama. De la même façon, le passage par l'Arctique permet des gains importants par rapport à un passage via le Canal de Suez (trajet Europe-Asie). Conséquence attendue : le trafic maritime via l'Arctique devrait être multiplié par 7 d’ici 2035.
4. Des ressources naturelles colossales de plus en plus accessibles… Sous les glaces de l'Arctique se cacheraient 22 % du pétrole et du gaz naturel mondiaux, de nombreuses réserves d’or, de zinc, de nickel et de fer, ainsi que de grandes quantités de terres rares comme le néodyme, le praséodyme, le terbium et le dysprosium, essentiels pour les hautes technologies et la transition énergétique.
“Les champs offshore, notamment dans l’Arctique, constituent sans exagération notre réserve stratégique pour le XXIe siècle.”
Vladimir Poutine.
5. Les conflits s’accentuent d’autant plus que le droit international ne reconnaît pas clairement de souveraineté sur certaines zones, ce qui complique d’autant la situation lorsque huit pays - Norvège, Suède, Finlande, Danemark (Groënland), Islande, Russie, États-Unis (Alaska), Canada - se les disputent. Exemples…
Conflit Russie-Norvège dans la mer de Barents et les îles Svalbard. Malgré la signature d’un accord en 2011, les tensions demeurent.
Conflit Etats-Unis / Canada sur les réserves pétrolières et la navigation. Les Canadiens considèrent que certaines eaux (canaux) font partie de leur territoire, alors que les Etats-Unis les considèrent comme de simples voies de passage.
Conflit Etats-Unis - Russie sur les limites territoriales du détroit de Béring. Dans l’Artique, seuls 85 km séparent les côtes russes et américaines. En tant qu’Européens, nous avons tendance à oublier ce genre de détail…
Conflit Canada-Danemark. Chacun a planté son drapeau sur l’île Hans.
6. Jusqu’ici la diplomatie l'emportait, mais le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’intérêt insistant de Trump pour le Groenland ont changé la donne. L'Arctique est devenu un théâtre militaire, l’avantage étant à la Russie qui, en raison de ses 22 000 kilomètres de littoral arctique, en a fait une priorité. Ainsi, dès 2007, la Russie n’a pas hésité à planter un drapeau en titane au fond de l’Océan arctique et à parler d’Océan russe. (Ça devient une manie de renommer les mers et les océans…). Concrètement, la Russie dispose de 40 bases militaires dans la région et de la plus grande flotte de brise-glaces au monde. Les camps adverses se préparent en retour : le Canada, la Norvège et le Danemark ont monté des bataillons spécialisés, l’OTAN multiplie les manœuvres, et la Chine en renforçant ses liens avec la Russie, se revendique désormais "État proche-arctique".
“Ils ont des villes dans l'Arctique, nous n’avons que des villages.”
Melissa Bert, Garde-côte Américaine.
7. D’un côté, la Russie, de l’autre, sept pays arctiques tous membres de l’OTAN… On comprend pourquoi la “géopolarctique” est en train de gagner une place centrale dans les relations internationales. Pour nous rassurer, revenons à cette bonne vieille géographie : malgré le changement climatique, l’Arctique demeurera toujours une région hostile où aucun pays ne pourra s’en sortir sans la collaboration de ses voisins. En tout cas, espérons-le, pour que ce nouveau “théâtre de guerre” ne reste qu’un théâtre…
La leçon à tirer
Et on ne vous parle même pas des conflits géopolitiques avec les ours blancs… Ah, flûte, ah oui, c’est vrai, il n’y en a plus (ou presque) ! Damned…
Pour aller plus loin
Le discours de Trump : Trump says we’ll get Greenland ‘one way or the other’, Politico
Race Is On as Ice Melt Reveals Arctic Treasures - New York Times
La route de la soie polaire - Statista