🔴 L’escalade d’engagement et le long-termisme
L’escalade d’engagement
1. L’escalade d’engagement (ou biais d'engagement) désigne notre tendance à rester fidèles à nos décisions ou comportements passés - surtout s’ils ont été annoncés publiquement - même lorsque nous ne sommes pas satisfaits des résultats.
People want to be congruent with what they have committed to in the past, especially if that commitment is public…. Once we have made a choice or taken a stand, we will encounter personal and interpersonal pressures to behave consistently with that commitment.
Robert Cialdini
Professor Emeritus of Psychology at Arizona State University
2. Ce biais a été analysé dès 1976 par Barry M. Staw dans son papier “Knee-deep in the big muddy: a study of escalating commitment to a chosen course of action”. Son étude, menée auprès d’étudiants, montraient qu’ils s’engageaient d’autant plus que les conséquences négatives d’une décision pouvaient leur être imputées.
3. Ce biais est souvent lié au besoin de cohérence et à la pression sociale. Une fois que nous avons pris une décision, nous ne voulons pas nous dédire devant notre entourage. Nous voulons montrer que nous sommes des êtres rationnels et dignes de confiance. Hum…
4. En réalité, cet entêtement n’est pas sans conséquences au plan personnel. En maintenant nos positions, nous risquons de ne pas prendre en compte les éléments nouveaux et donc de persister dans des décisions inadaptées.
5. Les conséquences peuvent être particulièrement sérieuses lorsqu’il s’agit de décisions politiques, économiques, managériales, etc. En effet, nous faisons davantage confiance à un dirigeant qui poursuit la ligne qu’il a fixée, même si cette ligne est mauvaise. L’étiquette “girouette” ne fait pas recette…. Pourtant, il est indispensable de reconnaître la réalité - voire ses erreurs, mais oui ! - pour éviter de s’enliser…
6. Comment déjouer ce biais ? Le principe serait d'évaluer régulièrement nos décisions et de vérifier qu’elles sont toujours adaptées à nos objectifs et à nos valeurs. Autre solution : pratiquer la politique des petits pas, à savoir des engagements progressifs pouvant être plus facilement remis en question.
7. La cohérence n’est pas toujours la vertu suprême. Une décision est généralement meilleure quand elle est prise sur la base d’un raisonnement logique et rationnel. Et la pression sociale n’existe souvent que dans nos têtes…
La leçon à retenir
Il y a parfois du bon à être têtu. On s’acharne, on ne lâche pas, et parfois (souvent) ça finit par marcher !
Pour aller plus loin
Le long-termisme
1. Particulièrement en vogue dans la Silicon Valley, le long-termisme est un courant de pensée selon lequel la pérennité de l’espèce humaine est une priorité morale absolue, nos problèmes actuels comptent moins que le futur, et nos décisions d’aujourd’hui doivent être fondées sur une vision à très long terme favorisant la réalisation du “potentiel” de l’humanité, par la technologie et - pourquoi pas ? - la colonisation de Mars. Cette idéologie séduit nombre d’adeptes dans le nouvel entourage de Donald Trump. Bien la connaître devrait nous permettre de mieux comprendre certaines décisions prises à Washington… en admettant que ce soit possible.
2. Le philosophe suédois Nick Bostrom (accusé de racisme et d’eugénisme…) et l’auteur britannique William MacAskil (What We Owe the Future - 2022) sont considérés comme les premiers à avoir théorisé le long-termisme. MacAskill résume ainsi sa position : « Les gens du futur comptent [autant que nous]. Ils pourraient être très nombreux. Et nous pouvons rendre leurs vies meilleures. ». NB : il s’agit des générations devant voir le jour dans des centaines, milliers, millions d’années ! La dernière de ces trois phrases révèle soit un optimisme peu commun, soit une prétention tout aussi peu commune. Car cela reviendrait à supposer que nous sommes capables d’anticiper ce que sera notre planète et les besoins de l’humanité dans des milliers d’années, quand nous n’arrivons même pas à prévoir et empêcher les inondations de la semaine prochaine…
Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir.
Pierre Dac
3. Le long-termisme repose sur une arithmétique simple. L’humanité existe depuis environ 300 000 ans. Au cours de cette période, on estime que 118 milliards d’individus ont vu le jour. Or, l’humanité n’en serait aujourd’hui qu’à sa phase adolescente. Un nombre bien plus grand d’individus devraient voir le jour. Enfin, on espère…
4. Ce courant de pensée met l'accent sur la nécessité de réduire les risques existentiels menaçant l’espèce humaine :
La guerre ou l’accident nucléaire
Le changement climatique extrême
L'intelligence artificielle autonome
La dépopulation mondiale
Les pandémies naturelles et artificielles
(Le très sérieux site de prévision Metaculus estime à 1% la probabilité qu’un virus puisse éradiquer 95 % de l’humanité d’ici la fin du siècle.)
5. La perception de plus en plus forte de ces risques existentiels a fait prendre une autre tournure au long-termisme. Concept à l’origine humaniste, le long-termisme s’est depuis répandu dans les cercles de l’élite tech de la Silicon Valley. Elon Musk, Peter Thiel, Sam Altman notamment, comptent parmi les adeptes de cette philosophie. Les projets de colonisation de Mars, de néo-natalisme (Musk), de collecte mondiale de données biométriques (Altman), d’extension de la longévité humaine (Thiel) et d’Intelligence Artificielle Générale y trouvent leur fondement.
6. Le long-termisme recyclé à la mode tech sert désormais de justification aux décisions de l’administration Trump en faveur de la prédominance du capitalisme technologique sur le système administratif actuel qui ne serait pas à la hauteur des enjeux de la survie de l’humanité. Serais-je la seule à avoir l’impression de vivre en pleine dystopie ?
7. Ainsi dénaturé, le long-termisme peut devenir dangereux : sacrifier le présent à un futur imaginaire, légitimer des actions et des décisions extrêmes, favoriser la concentration de pouvoirs entre les mains d’une élite “techno-optimiste”, cette même élite qui aujourd’hui bénéficie des faveurs de l’actuel hôte de la Maison blanche.
La leçon à tirer
Comment expliquer alors que leur priorité ne soit pas d’éradiquer les causes du changement climatique pour permettre aux générations futures - pas si lointaines - de survivre ? Cette idée d’aller coloniser Mars parce que la Terre sera devenue une fournaise stérile contrôlée par des super IA, me fait penser à ces ados qui viennent squatter dans le salon lorsqu’ils sont bien “saccagé” leur chambre en “rangeant” jour après jour leurs fringues sales - ou propres - par terre, et laissé pourrir les peaux de banane et autres reliefs peu ragoûtants sur leur bureau ou… dans leur lit ! Mais je m’égare, je m’égare….
Pour aller plus loin
World ID: Sam Altman wants to stop AI fakes with eye scans - IT-Daily Net
Le livre What We Owe the Future - William MacAskill
Le podcast - 80,000 Hours - In-depth conversations about the world’s most pressing problems and what you can do to solve them
The Techno-Optimist Manifesto - Marc Andreessen