🔴 L’escompte hyperbolique et le coût environnemental de l’IA
Non, je ne vais pas vous parler de maths (ça vaut mieux !) mais de ce qui se passe dans nos têtes et de nos réactions bizarres. Pourquoi donc ne voyons-nous pas plus loin que le bout de notre nez ?
L’escompte hyperbolique (hyperbolic discounting)
1. L'escompte hyperbolique (hyperbolic discounting) est notre tendance à préférer une récompense immédiate à une récompense plus importante décalée dans le temps, mais, mais, mais... pourquoi “hyperbolique” ? Parce que notre préférence diminue lorsque les deux récompenses sont toutes deux différées dans le temps, même si l’écart reste le même entre les deux. Obscur ? Exemple :
Marie gagne au loto.
Elle peut, soit recevoir un gain immédiat de 5 millions d’euros, soit une “rente” annuelle de 250 000 euros (constants) jusqu’à la fin de sa vie (qu’elle peut espérer longue puisqu’elle n’a que 35 ans). Au bout de vingt ans, l’option “rente” deviendra plus avantageuse. Pourtant, il est probable qu’elle choisisse les 4 millions tout de suite.
Allons plus loin : si on lui propose de disposer - avec un délai trois ans - de 4 millions ou de la rente à vie, il est davantage probable qu’elle choisisse la rente. Pourtant, c’est exactement le même “deal”, à la différence près qu’aucune des deux récompenses n’est immédiate. L’avantage perçu diminue au fur et à mesure du temps, d’où l’hyperbole.
2. L’escompte hyperbolique est une “variante” de la préférence temporelle (delay discounting) mise en évidence par Richard Herrnstein, psychologue et chercheur à Harvard (1930-1994), et George Ainslie, spécialiste de l’économie comportementale, sur la base des travaux de Walter Mischel relatifs à la gratification différée. Il s’agit du fameux test de la guimauve :
Soit un enfant laissé “seul” devant une guimauve. On lui promet de lui en donner deux supplémentaires s’il résiste à la tentation pendant quinze minutes. Cruel ! S’il y parvient, il réussira dans la vie. Je plaisante, quoique… c’est ainsi que les résultats ont été parfois interprétés.
3. Ce biais cognitif peut avoir des conséquences négatives dans notre vie : nous préférons une gratification immédiate à un résultat à long terme, le shot de sucre ou de nicotine à une plus longue espérance de vie, une fringue inutile à l’épargne pour un voyage de rêve, etc. Le plaisir immédiat, impulsif, plutôt que le bien-être à plus long terme.
4. Comment ne pas se faire avoir ? Certaines entreprises ont très bien compris ce phénomène et s’en servent abondamment à nos dépens. On a tous (?) succombé au “Achetez maintenant, payez plus tard”, aux offres “Premier mois gratuit (mais engagement pour un an)”, etc.
5. Passons au collectif et là, ça devient plus sensible car la récompense à court terme est souvent incompatible avec le bien commun à long terme.
Quelles sont les chances de succès d’une entreprise qui ne tient compte que de ses résultats trimestriels en oubliant d'investir dans de nouveaux produits ?
Qu’arrive-t-il si des leaders politiques préfèrent des mesures ponctuelles et superficielles mais générant des résultats rapides (c’est-à-dire avant les prochaines élections), à des mesures moins visibles, moins valorisantes mais cruciales à long terme telles que la construction d’infrastructures ou la défense nationale ?
6. Pourquoi réagissons-nous ainsi ? Parce que nous détestons l’incertitude et le risque, nous avons du mal à nous projeter dans l’avenir, nous n’aimons pas attendre, nous sommes impulsifs... Pourtant, notre espèce a réussi à passer du stade chasseur-cueilleur pour passer à l’élevage et à l’agriculture où il faut attendre, attendre, attendre…
7. Quelques pistes pour lutter :
Avoir toujours en tête nos objectifs à long terme, en parlant régulièrement avec nos proches ou en gardant des points de repère devant les yeux (l’incontournable photo en bikini sur le frigo, une photo du Taj Mahal au soleil levant…).
Dialoguer avec la personne que nous serons après avoir choisi la solution à court terme ou la solution à long terme.
Mettre en place des “astuces” empêchant les prises de décision impulsives (pas de sucre dans les placards) ou favorisant le long terme (virements automatiques sur un compte épargne).
Nous projeter et imaginer le succès de nos réalisations si nous avons choisi le long terme.
La leçon à retenir
Tout ça ne date pas d’hier. Je ne résiste pas à ce plaisir immédiat et impulsif : une bonne fable de La Fontaine !
Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras ;
L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.
Pour aller plus loin
Le livre Anatomie de la volonté - Ainslie, George, Ferreira, Anthony - Livres
L’article Golden eggs and hyperbolic discounting - David Laibson - Harvard University - 27 août 2012
L’article Complexity and Hyperbolic Discounting - Benjamin Enke, Thomas Graeber et Ryan Oprea - 14 décembre 2023 - Harvard Business School
L’article Intertemporal Substitution and Hyperbolic Discounting - Petra M. Geraats - University of Cambridge - juin 2006
L’article The Matching Law: A Tutorial for Practitioners - PMC
La fable de Jean de La Fontaine : Le petit poisson et le pêcheur
Le coût environnemental de l’IA
1. Nous le savons, l’IA a un coût environnemental mais ce coût demeure flou et, comme le disait la grand-mère de Martine Aubry, “quand c’est flou, il y a un loup”. C’est précisément ce loup que l’équipe de HuggingFace, sous la direction de Sasha Luccioni, tente de faire sortir du bois. Résultat : une étude très détaillée évaluant le coût environnemental de l’ensemble de la filière de l’AI que, rassurez-vous, 7 about… a lue et décortiquée pour vous en 7 points, comme d’habitude. Spoiler alert : ce n’est pas rassurant du tout.
2. L’étude commence par définir l’ensemble du cycle de vie de la filière IA, de l’extraction minière des matériaux jusqu’au traitement des équipements en fin de vie, en passant par les énergies consommées à chaque étape. Premier constat : le volume réel des émissions de gaz à effet de serre de cette filière représenterait plus du double du volume estimé dans les études précédentes.
3. Le secteur de l’IA est très énergivore : chaque requête auprès d’un modèle d’IA serait 6 à 10 fois plus gourmande en électricité qu’une requête auprès d'un moteur de recherche comme Google. Aux Etats-Unis, les centres qui hébergent ces données consomment déjà 2 à 3 % de l’ensemble de l’électricité du pays, et cette consommation devrait tripler dans les 5 prochaines années. 40 à 50 % de l’énergie consommée servent à produire des données, 30 à 40 % sont consacrés au refroidissement de ces centres. Quant aux GAFAM, leur consommation cumulée d’énergie a plus que doublé au cours de ces 5 dernières années, au point de les faire renoncer aux objectifs Net Zéro Carbone qu’ils avaient annoncés (source : Bloomberg News).
4. La croissance exponentielle des besoins en électricité est-elle tenable ? Rien n’est moins sûr si l’on en croit la société d’études Gartner : près de 40 % des centres de données dans le monde risqueraient de souffrir de pannes d’électricité, ce qui les obligerait à restreindre leur consommation d’énergie dès 2027 et donc de ne pouvoir répondre à une demande dont la croissance est estimée à 160 % pour les deux prochaines années.
Estimated Incremental Power Consumption of AI Data Centres, 2022-2027; Source: Gartner (November 2024)
5. Dans ce bilan, il faut également prendre en compte les besoins en eau puisque, pour éviter la surchauffe, les serveurs des centres de données doivent être refroidis en permanence. En moyenne, les centres utilisés pour les modèles d’IA consommeraient 2,1 millions de litres d’eau… chaque jour, et un modèle comme ChatGPT, un demi-litre d’eau pour répondre à 10 à 50 requêtes. Et ce n’est pas tout… La fabrication des microprocesseurs (CPU et GPU) indispensables à la filière, est aussi très gourmande en eau. Difficulté supplémentaire : cette eau devant être purifiée sous peine d’endommager les systèmes de refroidissement, l’usage d’eau de mer ou d’eaux usées est exclu. Le taïwanais TSMC, leader mondial de la fabrication des puces électroniques, utiliserait environ 157 000 tonnes d’eau par jour (source : Making AI less “thirsty”).
6. Le bilan ne serait pas complet sans la prise en compte des métaux utilisés pour fabriquer les puces électroniques : cuivre, aluminium, cobalt, lithium, gallium, germanium… Or, il faut extraire plusieurs tonnes de minerais pour obtenir une seule tonne de ces métaux, ce qui renchérit d’autant le coût environnemental de l’IA. Autre élément : ces mines se situent souvent dans des zones de conflit, en République Démocratique du Congo par exemple, premier extracteur mondial de Cobalt. L’exploitation de ces “minéraux de conflits” contribue à perpétuer guerres et atteintes aux droits de l’homme.
7. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’intérêt de l’IA mais de connaître précisément son impact sur notre planète. C’est tout le mérite de l’étude de Hugging Face, une startup développant des outils et une plateforme de machine learning, fondée par des Français aux Etats-Unis en 2016 et devenue un acteur important de l’IA…
La leçon à tirer
Eh oui, ça coûte cher de demander à l’IA de notre système de messagerie d’écrire à notre place ce mail basique que nous avons pourtant déjà écrit des milliers de fois…
Pour aller plus loin
L’étude complète : The Environmental Impacts of AI - Sasha Luccioni
Energy and Policy Considerations for Modern Deep Learning Research - Emma Strubell
AI, data centers and the coming US power demand surge - Goldman Sachs
Microsoft’s AI Push Imperils Climate Goal as Carbon Emissions Jump 30% - Bloomberg News
Google’s Emissions Shot Up 48% Over Five Years Due to AI - Bloomberg News
Cobalt Red, how the blood of the Congo powers our lives - Siddarth Kara