L'IA anti-complotismeÂ
1. Enfin une IA qui ne contribue pas au cauchemar dystopique ambiant ! En effet, des chercheurs amĂ©ricains ont utilisĂ© lâIA gĂ©nĂ©rative pour faire changer dâavis des personnes croyant dur comme fer aux thĂ©ories complotistes les plus courantes, en leur dĂ©montrant Ă coup de faits objectifs et d'explications scientifiques que celles-ci Ă©taient fausses. Une gageure !
2. Car les chiffres font froid dans le dos. Selon une Ă©tude menĂ©e par lâIFOP en mars 2023 pour le site Amb-USA, 35 % des Français et 55 % des AmĂ©ricains interrogĂ©s dĂ©clarent croire Ă au moins une thĂ©orie complotiste. Pire, 9 % des Français et 17% des AmĂ©ricains y croient fermement, les jeunes Ă©tant les plus touchĂ©s.Â
3. La palette est large, des attentats du 11 septembre que le gouvernement amĂ©ricain aurait laissĂ© faire, aux extraterrestres de Roswell, en passant par ce pauvre Neil Armstrong qui nâaurait pas posĂ© le pied sur la Lune mais dans un studio dâHollywood⊠Ainsi, 12 % des Français jugent possible le fait que la Terre soit plate et 20 % des jeunes ĂągĂ©s de 25 Ă 34 ans adhĂšrent Ă cette idĂ©e. Damned, mais Ă quoi ont servi nos annĂ©es de cours de sciences ?Â
4. Les thĂ©ories complotistes sont particuliĂšrement rĂ©sistantes aux arguments rationnels et aux preuves scientifiques, car, en les adoptant, les âcroyantsâ satisfont leurs besoins psychiques de contrĂŽle, de sĂ©curitĂ©, de stabilitĂ©, de certitude, de prĂ©visibilité⊠et dâappartenance Ă un groupe. Câest vrai quâune preuve scientifique ne pĂšse pas lourd face Ă tout ça.
5. Pour dĂ©samorcer ces croyances, un ĂȘtre humain ne suffit pas toujours⊠car il nâa pas toutes les connaissances Ă disposition immĂ©diatement, ni les meilleures argumentations, ni (surtout ?) la patience. Il nâest quâhumain aprĂšs tout⊠Câest pourquoi trois chercheurs amĂ©ricains Thomas H. Costello, Gordon Pennycook et David G. Rand ont utilisĂ© lâIA gĂ©nĂ©rative - plus prĂ©cisĂ©ment une version personnalisĂ©e du modĂšle GPT-4 Turbo dâOpen-AI - pour crĂ©er un chatbot spĂ©cialisĂ©, le âdebunkbotâ (debunk pouvant ĂȘtre traduit par dĂ©mystifier, dĂ©mentir, rĂ©futer).Â
6. Chacun des 2 190 participants Ă cette expĂ©rience, a commencĂ© par expliquer au âdebunkbotâ la thĂ©orie Ă laquelle il croit et pourquoi il y croit. Lâinstruction (prompt) donnĂ©e Ă lâIA Ă©tait dâutiliser les donnĂ©es scientifiques dont elle dispose, pour prouver au participant que la thĂ©orie Ă laquelle il souscrit est fausse, et dâadapter sa stratĂ©gie en fonction des arguments et preuves apportĂ©s par le participant. La durĂ©e moyenne de cette âconversationâ limitĂ©e Ă trois sĂ©ries dâinteractions, a Ă©tĂ© de huit minutes et quarante secondes.Â
7. Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© probants : les conversations avec le âdebunkbotâ ont rĂ©duit de 20 % en moyenne la confiance globale des participants dans la thĂ©orie complotiste qu'ils soutenaient, et environ un quart dâentre eux ont dĂ©savouĂ© cette thĂ©orie. De plus, lâimpact semble ĂȘtre durable, Ă©tant Ă un niveau identique deux mois plus tard. Pas si malâŠ
La leçonÂ
Le problĂšme, câest que ceux qui veulent vraiment croire Ă des complots, vont croire que le âdebunkbotâ a Ă©tĂ© spĂ©cialement programmĂ© pour leur faire croire quâil nây a pas de complot. Le complot dans le complot dans le complot⊠Une mise en abyme infinie.Â
Pour aller plus loinÂ
EnquĂȘte IFOP sur le complotisme et les contre-vĂ©ritĂ©s scientifiques - Janvier 2023
EnquĂȘte complotisme 2019 : les grands enseignements - Fondation Jean-JaurĂšs
RĂ©sultats - Etude sur les croyances irrationnelles et les superstitions aux Etats-Unis et en France - 3 mars 2023 - IFOPÂ
Rapport complet - Etude sur les croyances irrationnelles et les superstitions aux Etats-Unis et en France - 3 mars 2023 - IFOPÂ
Le livre Au coeur du complot (Grand format - Broché 2023) - Rudy Reichstadt - Grasset
Lâeffet dâincubation
1. En psychologie, lâeffet dâincubation fait rĂ©fĂ©rence au processus inconscient par lequel des idĂ©es âintĂ©ressantesâ surgissent au moment mĂȘme oĂč nous nous y attendons le moins. Câest quand nous laissons de cĂŽtĂ© la question ou le problĂšme sur lequel nous travaillons, que la solution nous apparaĂźt.
2. Il fallait bien que des chercheurs se penchent sur ce curieux phĂ©nomĂšne. Selon les travaux de lâuniversitaire britannique Graham Wallas (annĂ©es 1920), le processus crĂ©atif comporte quatre Ă©tapes : prĂ©paration, incubation, illumination, vĂ©rification. La plus cruciale - et la moins reconnue - est lâĂ©tape dâincubation, celle pendant laquelle intervient cette (trop) rare Ă©tincelle de gĂ©nie !Â
3. En effet, lorsque notre esprit vagabonde, nous nous exposons Ă dâautres idĂ©es, dâautres sensations, qui se combinent en associations inconscientes, menant de maniĂšre fortuite Ă de nouvelles idĂ©es, de nouvelles solutions. MoralitĂ© : moins on pense Ă un problĂšme, plus nous avons de chances de le rĂ©soudre. Câest contre-intuitif mais câest - quasi - scientifiquement prouvĂ©.
4. Mais, mais, mais⊠laisser faire le processus dâincubation ne revient pas Ă ne rien faire !
Commençons par la prĂ©paration, lâĂ©tape la plus laborieuse. Il faut se confronter au problĂšme Ă plusieurs reprises, lâĂ©tudier, accumuler des informations et faire lâeffort conscient de le rĂ©soudre. Lâeffort prĂ©alable est nĂ©cessaire, lâeffet incubation se mĂ©rite !
Ensuite, nous devons penser Ă autre chose : papoter, lire, se promener ou tout simplement dormir.Â
Notre inconscient fera le travail en faisant librement des associations, sans mĂȘme que nous nous en rendions compte.
5. Un exemple dâincubation ? La poussĂ©e dâArchimĂšde. Câest en prenant son bain que le savant grec ArchimĂšde comprend les lois de la physique des fluides. âTout corps plongĂ© dans un liquide subit une poussĂ©e verticale vers le haut Ă©gale au poids du volume de liquide dĂ©placĂ©â. Lâassociation entre ses recherches et les sensations de son propre corps a crĂ©Ă© un effet dâincubation et accessoirement lâun des cris les plus cĂ©lĂšbres de lâhistoire : eurĂȘka !Â
6. Plus Ă©tonnant⊠Cet effet est Ă la source mĂȘme des incubateurs de startups dont le cĂ©lĂšbre Y Combinator, un temps dirigĂ© par Sam Altman, cofondateur dâOpen AI. En effet, ses mĂ©thodes sâinspire directement de lâeffet dâincubation :
Au cours dâune session de recrutement (deux par an), Y Combinator recrute prĂšs de 400 startups quâil va faire âgrandirâ ensemble. En favorisant leur proximitĂ©, il va leur permettre dâĂ©changer des idĂ©es qui pourront sâassocier, faisant ainsi naĂźtre de nouvelles idĂ©es auxquelles personne nâaurait pensĂ©.Â
Pendant ce processus, des intervenants externes sont Ă©galement invitĂ©s afin de proposer des perspectives diffĂ©rentes, favorisant dâautres combinaisons.Â
Enfin, les locaux sont conçus pour permettre dâalterner entre phases intensives de travail et phases de dĂ©tente.
RĂ©sultat : Y Combinator a incubĂ© plus de 5 000 startups (dont Airbnb, Stripe, Twitch ou Coinbase) et gĂ©nĂ©rĂ© plus de 600 milliards de dollars de valorisation cumulĂ©e. MaĂźtriser lâart de lâincubation, ça peut rapporter gros !
7. Lâeffet dâincubation vient nous rappeler que le processus de crĂ©ativitĂ© est une affaire de lĂącher prise et non de contrĂŽle. Il faut savoir attendre et ne pas chercher Ă tout prix une solution. Câest ce qui fera la diffĂ©rence avec ceux qui abandonnent trop tĂŽt, alors quâils avaient dĂ©jĂ fait le plus dur et nâĂ©taient plus quâĂ deux doigts de trouver une solution, lors dâun voyage, dâune promenade⊠ou dâun bain.
La leçon à tirer
Câest un peu comme le pain : on pĂ©trit laborieusement, puis on part faire autre chose, et magie, la pĂąte a levĂ©âŠÂ
Pour aller plus loin
Le marché mondial des incubateurs -The Brainy Insight
La vidéo : Inside The Most Powerful Startup Community In The World - Y Combinator